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À la cité U, les étudiants trafiquent les cigarettes pour améliorer leur quotidien

19 octobre 2012

Pour joindre les deux bouts, des étudiants vendent des cigarettes à la cité universitaire de la Robertsau. Un trafic pas forcément juteux, mais qui leur offre un certain confort.

Camel, Marlboro, les étudiants vendent leurs cigarettes moins chers que dans les bureaux de tabac. (Crédits : E.J/Cuej)

Au milieu d'annonces proposant des cours d'espagnols, un téléviseur ou des livres sur les panneaux d'affichage de la cité universitaire de la Robertsau, on trouve aussi des annonces bradant les paquets de cigarettes. Des Camel à 4 € au lieu de 6,50 € ; des Marlboro à 5 €, contre 6,60 € dans les bureaux de tabac.

Un fournisseur et un distributeur

Dans le petit trafic de Marlboro, ils sont au moins deux. Un fournisseur et un distributeur. Le fournisseur, également étudiant, a refusé de témoigner. « Il veut rester discret, soutient Julie*, la distributrice, on sait que c'est illégal. » Les clients intéressés, généralement eux aussi étudiants, prennent contact avec le fournisseur via le numéro de téléphone portable affiché sur l'annonce. Le rendez-vous est fixé à la cité U de la Robertsau. Julie sort de sa chambre, où elle ne conserve qu'une cartouche de cigarettes. La transaction s'effectue à l'extérieur, dans le petit espace vert de la cité U ou dans le hall d'un des bâtiments.

« Généralement, je ne parle pas avec les gens, je descends, je ne donne pas le numéro de ma chambre. Je veux quand même rester discrète dans la cité U. Je vends surtout des cigarettes le week-end. Je n'ai pas en tête que c'est trop risqué. Je vends trois, quatre paquets par semaine, ce n'est pas énorme. Ça ne fait rien du tout à l'économie française », justifie l'étudiante.

Les bénéfices du trafic sont partagés. Moitié-moitié. « Si un vendredi, je vends pour 20 €, on va diviser la somme, 10 € chacun. Je n'aurai pas besoin de retirer de l'argent pour sortir le soir, par exemple. » Depuis septembre, elle a vendu trois cartouches de cigarettes, soit 150 € récoltés pour eux deux. Pour l'instant, ce trafic lui a rapporté 75 € en un mois et demi.

En France, une cigarette fumée sur cinq serait d'origine étrangère. (Crédits : E.J/Cuej)

Avec l'augmentation continue du prix du paquet de cigarettes, (de 1,50 € en 1991 à 6,60 € en moyenne aujourd'hui), le trafic de cigarettes a explosé en France ces dernières années. L'est de l'hexagone, avec l'Alsace, la Lorraine ou la Bourgogne constitue une plateforme de transit importante. Les Français filent aussi vers les pays européens frontaliers (Allemagne, Espagne, Luxembourg) pour acheter des paquets de cigarettes environ 30% moins cher.

Des difficultés financières

Julie reçoit 800 € de bourse par mois, sa chambre en cité universitaire lui coûte 140 €. « La bourse ne me suffit pas, je suis assez dépensière et j'ai des dettes en plus. Et pour l'instant, ce sont mes parents qui financent mes études, je n'ai toujours pas reçu ma bourse. » Les cigarettes ne viennent pas de la contrebande, elles sont achetées légalement en duty free à l'étranger, sur le continent africain par exemple. La cartouche de 200 cigarettes y coûte 21 €, contre 66 € en France. Elle est vendue au prix de 50 € à la cité U.

Les années précédentes, Julie a cumulé les petits jobs. Elle a été employée au noir comme secrétaire dans une société de nettoyage. « Mais j'ai arrêté, c'était trop ennuyant et ils ne voulaient pas me faire signer un contrat d'embauche. Ça me rapportait 150 € de plus par mois. J'ai aussi travaillé à la plonge dans un restaurant mais ça se passait mal avec les responsables, ils nous engueulaient gratuitement.»

Pour elle, la vente de cigarettes constitue surtout un revenu d'appoint. « C'est sûr, je ne vais pas vivre de ça mais c'est un truc en plus. Tu peux te permettre un ciné ou un resto. Ça fait plaisir quand tu as un peu d'argent de côté. Je n'en ai pas retiré depuis un moment, j'ai la monnaie des cigarettes. »

* Le prénom a été modifié.

Emilie Jéhanno

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