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Altruiste sur tous les fronts

14 octobre 2013

Difficile pour ce quinquagénaire de faire un bout de chemin de manière anonyme : il ne se passe jamais longtemps avant qu'il ne soit interpellé. Lui, c'est Khalifa Ayadi, un véritable « personnage » du quartier du Neuhof. Dans le récit de son parcours personnel se dessine en arrière-plan la vie du quartier au fil des années. 

"Je suis partout là où il y a besoin". Depuis des décennies, Khalifa Ayadi est au service du Neuhof. Un quartier dont il connaît les moindres recoins et les habitants de tous âges. Cuej/Caroline Anfossi 

 

Cheveux noirs grisonnants, lunettes vissées sur le nez, Khalifa Ayadi est la mémoire vivante du Neuhof. A l'affut de tout, anecdotes et dates en tête, il se rappelle les petits évènements, comme les grands. Il se souvient de l'année 1979, première réhabilitation du quartier. Il se souvient de 1986 et des missiles sol-air que les militaires manoeuvraient au Polygone. Il se souvient aussi de l'été 2007 et de l'arrivée du tramway dans le quartier, une sorte de « mini-révolution ». Il n'a pas pour autant zappé l'ouverture de telle épicerie ou la course-poursuite engagée la semaine dernière entre les policiers et des jeunes à scooter. « Il a tout l'historique en tête, c'est impressionnant », atteste Xavier Brenac, membre du conseil de quartier.

 

S'il a grandi ici, Khalifa Ayadi est né en Algérie en 1956 - deuxième d'une fratrie de neuf enfants - avant d'être rapatrié en France avec sa famille en 1963.  Sa mère était femme au foyer et son père ancien combattant de l'armée française durant la Seconde Guerre mondiale. « Il n'avait pas envie de tuer. Après la guerre, il a travaillé dans un service d'action sociale. Il avait un côté altruiste, il aimait aller voir les gens », se rappelle le Strasbourgeois.

 

A son arrivée, la famille loge dans un appartement de cité HLM. « Le bâtiment était propre, neuf. Le quartier était bien. Il s'est dégradé avec le temps. C'est normal lorsqu'il y beaucoup de cas sociaux dans un endroit. » Son enfance au Neuhof, c'était aussi la découverte de la nature : « Quand j'étais gamin, on allait jusqu'au Rhin, on pêchait, on faisait des cabanes. Aujourd'hui, il y a le Norma, c'est rempli d'industries. Notre génération c'était la forêt. Maintenant, c'est les vidéos, les téléphones portables, les tablettes. »

 

Le Neuhofois d'adoption conserve un bon souvenir de cette période : « On a été bien accueilli, j'avais des copains français. Il n'y avait pas de racisme. Le seul problème qu'on avait, c'était avec la police : ils nous traitaient de tête de melon. » Khalifa Ayadi considère que l'intégration a été plus compliquée pour les générations suivantes, lorsque la population s'est diversifiée.

 

L'animation, presque une vocation

 

Côté professionnel, ce célibataire père de deux enfants a touché à tout. « J'aurais bien voulu être avocat, juge ou encore militaire, mais j'ai pris ce qui se présentait à moi », explique t-il. La boucherie d'abord, à l'âge de 17 ans, pour pouvoir « s'habiller, acheter des cigarettes, sortir ». Puis quelques temps après, la vente de vêtements : « ça me plaisait beaucoup, il y avait le contact avec les gens. Et puis je ne travaillais qu'avec des femmes, j'étais content ! » Dans les années 2000, le Strasbourgeois teste la médiation dans les trams. Un poste pour lequel il était heureux de se lever le matin : « C'était une aventure grâce aux gens. On rencontre des vieilles personnes, on les fait asseoir. Il y a une relation qui se créée, j'étais bien, j'étais là pour les autres. »

Un rôle social qui lui va comme un gant. « C'est une personne en capacité d'aider, qui a un esprit solidaire. Il a baigné dans cette culture de participation des habitants qui régnait dans les années 80», estime Khoutir Khechab, directeur du centre socio-culturel du Neuhof. Comme les personnes qui l'entourent, Khalifa Ayadi a connu les périodes de chômage, les coups durs. Depuis quelques temps, il dort « à droite, à gauche », en attente d'un logement. Le Neuhofois n'est pas du genre à s'apitoyer sur son sort : il y a tellement à faire autour de lui. A l'origine de cette vocation : son expérience d'animateur. C'est à l'âge de 14 ans, après avoir arrêté l'école, qu'il fait ses premiers pas dans cet univers : « J'ai commencé par organiser des matchs de foot pour les plus jeunes. J'ai réussi à monter une équipe avec des jeunes difficiles. Les gens ont vu que j'avais une certaine influence. J'avais la confiance des habitants. »

Depuis, son engagement vis-à-vis du Neuhof ne s'est pas effrité. Membre du conseil de quartier, actif au sein du club de foot neuhofois et du centre socio-culturel, il participe de près ou de loin à toutes les manifestations proposées.  « Le reste du temps, je traîne dans les restaurants, les PMU, les épiceries, je regarde. J'aime bien voir ce qu'il se passe dans mon quartier », confie t-il. Côté salaire, sa seule rémunération provient de son activité d'agent de surveillance pour les sorties scolaires.

"On a du mal à enlever le vêtement qu'on nous a mis sur le dos"

 

Quand il est question de la réputation sensible du quartier, le Neuhofois parle sans détour : « On a du mal à enlever le vêtement qu'on nous a mis sur le dos. Le problème du Neuhof, c'est la drogue, les incivilités. Il y a des chantiers, des aménagements, mais c'est juste de la peinture. L'intérieur est pourri. Il faut de l'emploi. » Sa solution, sans surprise pour cet accro aux mots : la rencontre, la parole et davantage d'éducateurs sur le terrain, surtout la nuit. « La prévention, c'est les parents, l'école, mais pas seulement une fois dans l'année. Je me rappelle quand on était petit, ils venaient pour les dents, ils nous cassaient la tête avec ça. Il faut faire pareil pour la toxicomanie ! », estime-t-il. Lui est fier de s'être tenu à distance : « Je n'ai jamais.»

 

Bougeotte et besoin du contact obligent, Khalifa Ayadi va parfois dans les parcs à la rencontre de ces personnes fragilisées. Sa manière à lui de « faire quelque chose ».

 

Caroline Anfossi

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