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La précarité tue

19 octobre 2017

Diabète, obésité, mortalité précoce, la mauvaise santé des habitants du Neuhof est une réalité statistique. La précarité du quartier est, pour les médecins, la source de tous les maux.

Lundi 9 octobre, le centre socioculturel du Neuhof accueillait Léa Charton, médecin généraliste à la Maison de santé du quartier, pour un « café-santé » sur le thème du tabagisme. « C’est quoi les métastases ? », demande une participante. Le docteur Charton se veut pédagogue : « Les métastases, ce sont des cellules cancéreuses qui se déplacent dans le corps. » « C’est comme les migrants, quoi ! » Eclats de rire autour de la table. 

L’objectif de ces rendez-vous mensuels est se sensibiliser aux soucis de santé du quotidien. Ce lundi, la dizaine de femmes présentes pose beaucoup de questions : Est-ce que la chicha est aussi dangereuse ? Et le cannabis ? Et si je ne fume qu’une fois par jour ? La conversation s’égare parfois sur les jeunes du quartier, le Levothyrox ou encore Daesh. Carnets et stylos en main, la plupart des participantes notent tous les conseils dispensés, inquiètes pour la santé de leurs enfants et de leurs maris.

Les chiffres de l’Agence régionale de santé sont sans appel. Dans le périmètre du quartier prioritaire de la politique la ville (QPV*), à cheval sur le Neuhof et la Meinau, les habitants de plus de 70 ans se font rares – en France, l'espérance de vie est de 82,67 ans en 2015. Pire, ces derniers ont deux fois plus de risque de mourir avant 60 ans que dans le reste de l’Alsace. Des chiffres corroborés par les rapports de la Maison de santé, implantée dans le QPV.

Ce centre médical voit défiler un grand nombre de patients chaque jour. Obésité, addictions, diabète, les pathologies sont nombreuses, mais ont un dénominateur commun pour le docteur Charton : « la précarité ». Le docteur Catherine Jung, une des fondatrices de la Maison de santé, confirme cette analyse en se basant sur le score « Epices » valuation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examens de santé). Cet indice cherche à prendre en compte toutes les dimensions du déclassement social. Il se base sur onze questions à poser au patient. Au-delà d’un certain score, la personne est dite en situation de précarité. « Chez nous, quasi 100% des patients dépassent le seuil », affirme Léa Charton.

Le docteur Haller, présent au Stockfeld depuis plus de 40 ans, détaille : « Ce sont des maladies de la misère. Quand on n’a pas d’argent, on mange plus salé, plus sucré. » Même si les personnes en surpoids sont aujourd’hui comptabilisées avec celles souffrant d’obésité, les chiffres étonnent. Près d’un jeune sur trois serait concerné en 6ème, dans le QPV. 

Le docteur Jung va plus loin. « Le premier problème, ce sont les souffrances psychiques, les pathologies mentales, du fait d'une image dévalorisée que les gens ont d'eux-mêmes », explique-t-elle. 

Le docteur Catherine Jung est l'une des fondatrices de la Maison de santé, un projet concrétisé en 2010. 

Citant Serge Paugam, un sociologue spécialiste de la pauvreté, le docteur Jung enfonce le clou : « Toutes choses égales par ailleurs, habiter dans un QPV est un facteur négatif pour la santé. »

La Maison de santé agit sur la prévention, via les cafés-santé ou des marches en groupe. Côté soins, ses horaires élargis et l’application du tiers-payant pour tous (le QPV compte 30% de bénéficiaires de la CMU en 2016) les soins facilitent l’accès des malades précaires. Mais cela ne suffit pas à améliorer la situation, l’état de santé d’une personne dépendant principalement de son mode de vie. Selon Catherine Jung, seuls 20% de cet état de santé sont influencés par l'offre de soins.

Victor Noiret et Laurent Rigaux

* Les QPV sont un nouveau découpage de la politique de la ville, entré en vigueur le 1er janvier 2015. Les mesures prises dans ces quartiers servent à l’amélioration de la cohésion sociale et du cadre de vie, au développement économique et à l’emploi.

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