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Nuit de folie et soirée cartel à Kehl

17 octobre 2018

Entre casinos, bars à chicha et boîtes de nuit, la vie nocturne est réputée très animée de l’autre côté du Rhin. Pour vous, nous sommes allés voir ce qu’il en était réellement.

Tonight is the night. Un an après notre installation à Strasbourg, nous nous laissons enfin tenter par la perspective d’une soirée sulfureuse à Kehl. A nos yeux, cette cité frontalière se résumait jusqu’ici à une ville lambda, bon marché mais pas très sexy. La fièvre kehloise, les étudiants que nous sommes en avions entendu parler comme d’un paradis pour jeunes Français en quête d’un samedi arrosé. Mais nous n’avions jamais franchi le pas. Récit d’une nuit pleine de surprises dans la petite France qu’est devenu Kehl.

23h36 : Notre petit groupe de trois arrive à l'arrêt Landsberg, dans le quartier de Neudorf. Quentin, fêtard de la première heure, s’est joint à notre duo de journalistes de l’extrême pour vivre l’expérience. Tous les trois, nous avons misé sur une chemise. Pas question de se faire recaler. Le prochain tramway de la ligne D en direction de l’Allemagne n'arrive que dans neuf minutes. L’attente aurait pu être bien plus longue.

 

On ne boude pas notre plaisir et on décapsule les trois dernières Heineken qu'il nous reste. Entre deux gorgées, nous établissons un plan de bataille. Dans un premier temps, nous irons découvrir l'un des casinos de la ville. Ceux-là même qui attirent chaque week-end de nombreux Français. On se rendra ensuite à la soirée « Cartel » du Gold Club, grosse boîte de nuit kehloise au fort accent français. Ambiance de folie en vue, puisque l'évènement Facebook annonce sobrement : « Le Cartel se réunit pour une soirée sans limite. Moustache, chemise hawaïenne... I feel like Pablo. Quelques latinas et je brûle les billets like Pablo. La nuit sera blanche comme la coco des narcos. » Le ton est donné.

 

23h45 : Le tram arrive, bien rempli malgré l’heure tardive. Quelques rares personnes en descendent tandis que nous montons : décollage pour Kehl. Les rames sont pleines de filles tirées à quatre épingles. La gent masculine a opté pour le demi pot de gel dans les cheveux avec si possible t-shirt ou chemise bien moulants. La moyenne d’âge tourne autour de 18-19 ans. Jusqu’ici, tout le monde est plutôt calme. Chacun monte doucement en pression avant la longue soirée qui s'annonce. Il ne reste plus que quelques minutes avant d'atteindre la terre promise.

 

23h52 : Terminus. Le tram se vide de ses entrailles à la gare de Kehl. De rares personnes s'éparpillent en direction du centre-ville mais le gros de la troupe se dirige instantanément vers le Gold ou les lounge bars alentour, situés à dix minutes à pied de la gare. Bien décidés à décrocher le jackpot au casino répondant au doux nom de Merkur-Spielothek, nous marchons vers la Marktplatz.

 

00h04 : Petit arrêt à un distributeur : les Allemands ne sont pas friands de la carte bleue. La machine propose, en français dans le texte, de nous « débourser » de quelques euros. Les rues sont désertes, la ville complètement morte. On se dirige à présent vers le casino, à deux minutes de la place, tout excités par la perspective de déambuler dans ce genre de temple de la perdition, comme dans un Scorsese.

 

00h12 : Grosse erreur stratégique. En bons professionnels, on n’a pas regardé les horaires : l'établissement n'est ouvert que de 6h du matin (!) à minuit. Un peu désemparés, on ne se laisse cependant pas abattre. Que faire ? Les machines de jeu sont présentes dans à peu près tous les estaminets allemands. On décide alors de trouver l'un de ces bars à chicha, qui sont légion en Allemagne. Le genre de rade où deux mois de salaire peuvent passer à la trappe en deux heures sur une machine à sous.

 

00h24 : Après avoir marché quelques minutes et passé notre tour sur deux bistrots qui paraissent un peu trop craignos, nous tombons nez à nez avec le Zizou Sportsbar. Oui, un bar à la gloire de ZZ, en Allemagne. Sur la devanture, derrière le nom du bar en lettres néon, une photo grandeur nature de Zinédine Zidane. L’idole du peuple se tient fièrement, le regard au loin, comme prêt à nous coacher pour ce match nocturne. Notre chauvinisme français primaire prend un bon coup de boost. Il n'en faut pas plus pour nous inciter à nous engouffrer dans ce bar à chicha-casino hybride un peu étrange. A l’intérieur règnent fumée et forte odeur de fruit non identifiée. Du gros rap allemand vocodé qui ne fait pas dans la dentelle résonne dans les deux salles.

 

À notre plus grand désarroi, les machines à sous sont toutes occupées. Au nombre de trois, elle ne sont prises que par deux gonzes. Mais l’un d’entre eux, Karim*, joue sur deux tableaux en même temps. Pour patienter, nous commandons chacun une bière et lançons une partie de Puissance 4, une première depuis un moins une dizaine d'années. Ici déjà, les Français sont majoritaires : en plus des deux hommes aux Spielmachinen, trois autres sont assis à la table derrière nous, en train de savourer un narguilé en discutant de tout et de rien. Après quelques parties bourrées de suspens, Karim nous libère une machine à sous. Grand seigneur, Marlboro au bec et café noir dans la main gauche, il nous explique le fonctionnement du jeu.

 

LEGENDE

Âgé d’une vingtaine d’années, Karim est un habitué des lieux. « Je viens en voiture de Bischheim. Y a rien à faire là-bas. Du coup, je viens ici ! » Quand on lui demande le secret pour gagner aux machines à sous, son voisin, qui doit avoir la quarantaine mais en paraît soixante, ricane: « Ne pas commencer à jouer ! » Qu’importe, on prend le risque. Et bien nous en prend : 4 € de mise pour 19 € de gains. Quentin n’a pas autant de réussite et perd 9 €. Trêve de plaisanteries, il est temps d’aller voir de quel bois se chauffent les « narcos du Cartel ». Karim, lui, semble bien parti pour passer la nuit aux côtés de Zizou. Il a déjà perdu plus de 100 € depuis que nous sommes arrivés. Quand on lui demande justement à quelle heure il est arrivé, il se gratte la tête : « Franchement ? Je sais même pas. » Hypnotisé par la machine, il reprend le geste compulsif du joueur qui appuye inlassablement sur un unique bouton.

1h38 : Nous activons notre GPS et prenons la direction du Gold. En chemin, nous croisons pêle-mêle des salles de jeux miteuses installées dans des préfabriqués et des chicha lounge bars peu attrayants qui répandent jusque dans la rue leur odeur de tabac sucré. Nous passons tour à tour devant le célèbre McDonald’s, encore (ou déjà ?) bien rempli, un Lidl, puis un concessionnaire Volkswagen et un loueur de voiture Hertz alors que nous pénétrons dans une sorte de zone industrielle. Sur les parkings, on croise essentiellement des plaques françaises. 01, 57, 67, 68, 69, 75, et même un 29. Comme quoi, la nuit kehloise séduit jusqu'en Bretagne.

Au milieu d’une rue un peu défoncée, deux vigiles habillés de noir encadrent un portail coulissant donnant accès à un parking. On a l’impression de venir conclure un deal avec la mafia tchétchène au fond d’un entrepôt désaffecté, jusqu’à ce que l’on puisse distinguer toutes les filles en robe, surmaquillées, grillant une guinze avant de retourner dans la fournaise : le Gold. Après avoir gratifié les videurs d’un « Bonsoir », nous passons entre deux statues de lion dorées, puis foulons le tapis rouge qui nous mène vers l’intérieur.

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Les rois de la zone industrielle. Cuej/Quentin Monaton

1h55 : Affaires déposées au vestiaire et ticket d’entrée échangé contre la modique somme de 10 €, nous faisons nos premiers pas dans le Gold. De suite nous vient l’impression que l’on est en France et plus en Allemagne. La confirmation ne tarde pas. Micro en main, le DJ s’égosille dans la langue de Molière. Notre verre vient de nous être servi lorsqu’il rappelle à la foule que la France est championne du monde de foot et balance Ramenez la coupe à la maison, tube du rappeur Vegedream à la gloire des Bleus. Comme attendu, la foule est en délire.

 

Tel Samuel Umtiti, chacun « casse la démarche » à sa façon sur le dancefloor. L’homme aux platines enchaîne ensuite avec du Sean Paul puis une version mal remixée de Stayin’ Alive des Bee Gees : pour une soirée mélomane et underground, on repassera. Comme nous l’avions deviné durant notre trajet en tram, les filles comme les mecs sont venus pour pécho. Le DJ ne manque pas de le rappeler et lance des dédicaces à « tous les célibataires dans la salle » un son sur cinq. Après avoir fait un petit tour de la boîte, nous allons « prendre l’air » au fumoir. Une sorte de caverne ouverte sur l’extérieur où les fêtards discutent, s’esclaffent et fument la chicha.

2h40-4h25 : Retour vers le dancefloor. Nous commandons notre deuxième verre à des jolies barmaids en chemises à fleurs à demi déboutonnées. À tous les coups, c'est une clause dans leur contrat ou une consigne de la direction. Le DJ continue à faire cracher des enceintes les titres mainstream du moment. Beaucoup de rap français et un peu de son latino, histoire de faire honneur au thème de la soirée. Les machines à fumée et des geysers d’étincelles vrombissent toutes les 20 minutes de part et d’autre du balcon du DJ, il ne manque plus que des lance-flammes et on se croirait à Miami.

Sur Djadja comme sur du reggaeton, dans la fosse on danse sans discontinuer. On s’est pris au jeu à vrai dire. Les sourires sont sur tous les visages. Seuls les membres du staff, seaux remplis de bouteilles et de glaçons brandis au-dessus de la tête, zigzaguent entre les fêtards, l’air dépassé par les événements. Si l’on se fie aux estimations de Fyko, l’un des videurs du bar, nous sommes plus de 500 ce soir. Mais il arrive que la boîte accueille le double de personnes. Rencontré à l’occasion d’une pause clope, le grand gaillard chauve d’origine albanaise nous dresse un portrait peu élogieux du Français type qui se rend à Kehl la nuit : « Français ? Drogues, conneries ! Allemands ? Pas ça. Respectent ». Nous sommes bien évidemment les exceptions qui confirment la règle.

Désireux de profiter encore un peu de cette chaude nuit kehloise, nous reprenons le chemin du bar du Gold pour un troisième verre. Cette fois-ci, le whisky-Coca est particulièrement chargé. Sur la piste de danse, Quentin nous interpelle. Il dit avoir repéré le sosie de Nabil Fekir, footballeur champion du monde avec l’équipe de France cet été. « Mais alors, qu’est-ce que tu fous en boîte à Kehl, Nabil ? » Un fou rire éclate lorsque la star d’une nuit se prend au jeu de la photo et de l’autographe. Après cet épisode pour le moins inattendu, les premiers signes de fatigue apparaissent. Un coup d’œil à notre montre nous indique qu’il est près de 4h30. On se dit qu’il serait judicieux de ne pas s’éterniser.

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Le gribouillis de « Nabil Fekir », plus habile avec sa main qu'avec ses pieds. Cuej/Florian Bouhot

4h28 : Au sortir de la boîte, la faim nous guette. Heureusement, le McDo est encore ouvert pour une demi-heure. Mais il est victime de son succès. Les « Goldiens » sont si nombreux à s’y rendre que le vigile du fast-food commence à filtrer les entrées. C’est sans compter notre malice. Quinze minutes séparent le moment où l’on prend commande et le moment où l’on repart les mains chargées de burgers. Quentin s’est laissé tenter par un sandwich saveur… pizza. Et selon ses dires, « Il a vraiment le goût de pizza ! » Il tenait à ce qu’on le sache alors nous tenons à ce que vous le sachiez.

4h59 : Au loin, on distingue le temps d’attente avant le prochain tram en direction de Strasbourg : 45 minutes. « C’est mort », s’accorde-t-on. On prend alors la décision de savourer notre festin sur le pont qui sépare la France de l’Allemagne. Assis par terre, on ne fait pas dans le détail : nuggets, frites et burgers y passent en une dizaine de minutes. Le ventre plein, il est à présent temps de rentrer à la maison. Le trajet se fait à pied, sur fond de musique des années 2000 cette fois. Quoi de mieux pour débriefer une soirée arrosée ?

6h03 : 40 minutes de marche passées aussi vite que 10, nous voilà enfin de retour à Neudorf. Un peu fatigués, un peu alcoolisés, mais heureux. Si l’obscurité domine toujours le ciel de ce dimanche matin, la nuit a bien été, comme l’annonçait la page Facebook du Gold, « blanche comme la coco des narcos ».

*A sa demande, son prénom a été modifié.

Florian Bouhot et Pierre Griner

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