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Avec les naufragés de l'emploi

10 octobre 2013

Tous les mardis au Café de l'emploi, une poignée d'habitants viennent chercher une aide pour se réinsérer professionnellement et socialement.

Le centre social et culturel Au-delà des ponts accueille chaque mardi matin « les chemins vers l'emploi », un rendez-vous où les chômeurs peuvent bénéficier d'un soutien diversifié. Ce moment offre un petit condensé de la vie de ce territoire enclavé qui compte 34% de chômeurs.

Il est 9 heures au local du centre social et culturel Au-delà des ponts, au cœur du quartier du Port du Rhin. Comme chaque mardi depuis 2008, le centre propose ses «chemins vers l'emploi », en partenariat avec Reforme - Regroupement, formation, emploi- et l'OPI -Orientation, prévention, insertion. « Il y a en moyenne 5 ou 6 participants en recherche d'emplois qui viennent du Port du Rhin ou de la cité de la Musau (cité du quartier du Neudorf ndlr), et nous sommes à peu près autant d'encadrants de diverses structures pour les accompagner », explique Odile Monneret, animatrice pour Reforme de ce rendez-vous convivial où l'on s'attable autour d'une tasse de café et d'un gâteau.

Cette semaine, les participants ont choisi de faire venir Sylvie Moosmann, chargée du recrutement pour Au Port'Unes, une entreprise d'insertion implantée dans ce quartier défavorisé qui emploie plus de 80 personnes pour des travaux de nettoyage et d'aménagement. Sylvie Moosmann évoque tout de suite les conditions pour bénéficier d'un de ces emplois, renouvelables tous les 4 mois pendant 2 ans si les intéressés « adhèrent au parcours » : il faut être disponible tôt le matin, savoir lire et écrire en français , être en bonne condition physique et ne jamais avoir bénéficié d'un emploi d'insertion. Elle est également très claire pour les personnes dépendantes à la drogue ou à l'alcool, « on se soigne d'abord, on travaille après ».

Aide aux démarches administratives

Jamila, Monique, Marie-Claude et Tahar écoutent avec beaucoup d'attention les propos de la chargée de recrutement. Ils sont intéressés par le job proposé. Jamial Tahar, un tunisien de 48 ans qui semble déterminé à tout faire pour trouver du travail au plus vite, s'agite. Il sort son CV, veut partir tout de suite à la CAF pour aller chercher sa feuille d’allocations et la ramener ici… Il se perd dans la paperasse, pendant que les éducateurs lui expliquent avec bienveillance que « tout va bien » et qu'il ne faut « pas se précipiter ». Après quelques minutes, il comprend que les choses sont plus simples ici, les démarches administratives allégées. Il semble satisfait : “Je pense qu’avec cette réunion, je vais trouver un emploi, parce que c’est bien organisé.”

Monique, 59 ans, ne comprend pas bien le sens d'un papier de la sécurité sociale, « ça veut dire que j'ai le droit de travailler ? ». Jamila, la quarantaine, s'inquiète, elle, de ne pas recevoir de réponse à sa demande de formation. Odile Monneret rassure calmement et avec le sourire ces deux habitantes du quartier et prend des nouvelles de l'évolution de leurs situations.

« Une place à chacun »

Alors que la réunion touche à sa fin, deux hommes se présentent à la réunion. L'un des deux formule une excuse incompréhensible qu'il répète en boucle. Julia Duplant, éducatrice à l'OPI, lui demande d'une façon à la fois douce et ferme de s'asseoir et d'attendre qu'on lui donne la parole. L'éducatrice semble avoir l'habitude de gérer ce type de situation, « savoir observer la situation des uns et des autres est l'une de nos missions. Nous devons faire en sorte de donner une place à chacun. »

Le problème du chômage au Port du Rhin n'est en effet pas seulement un problème d'emplois disponibles. Les professionnels doivent aussi s'attaquer à des difficultés d'ordre psychologiques et culturelles, dans un quartier où, comme l'explique un éducateur, « de nombreux jeunes qui ont grandi ici n'ont jamais vu leurs parents travailler ». Sylvie Moosmann évoque avec tristesse - cette femme de 39 ans est restée attachée à ce quartier dont elle est originaire - les échecs rencontrés par Au port'unes dans le recrutement des gens du quartier : « on a déjà salarié un membre de chaque famille du quartier (le quartier compte 1500 habitants ndlr) depuis 1993. Mais ça ne marche pas, ils ne vont presque jamais jusqu'au bout. Ils travaillent pour pouvoir sortir de prison ou pour toucher le chômage, puis ils arrêtent du jour au lendemain sans prévenir. »

Pour s'attaquer à ces blocage très enracinés, les encadrantes veulent « donner une place à chacun », « valoriser » les demandeurs d'emploi, leur donner confiance en eux, en leur capacité de travailler, les rendre autonomes. Il faut pour cela sortir du strict cadre de la recherche d'emploi. Elles misent beaucoup sur les activités culturelles et artistiques pour y parvenir. Bientôt, un professeur de lettres à l'université viendra diriger un atelier d'écriture. Elles souhaitent également amener les participants à la médiathèque Malraux. Elles ne sont pas encore parvenues à les convaincre.

Nathan Kretz
Loïc Le Clerc

Le quartier compte un des taux de chômage les plus élevé de Strasbourg, avec un taux de 34% de chômage pour la population active et 50% de chômeurs parmi les jeunes.

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