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Cactus et gâteaux pour le nouveau Port du Rhin

18 octobre 2013

Photo CUEJ / Verena Hölzl

Au milieu d'une friche industrielle, Gérard Altorffer, architecte urbaniste, s'amuse à penser librement l'avenir du Port du Rhin. Ses idées tantôt loufoques, tantôt réalistes, pourront inspirer la transformation du quartier. Visite dans son atelier.

La Maison Rouge se dresse derrière Gérard Altorffer. Planté rue du Port du Rhin, l'édifice fait penser à un château aux formes simples et écarlates. Le côté sud s'adosse à une sorte d'échafaudage, le côté nord n'a quasiment pas de fenêtre, à cause du bruit de l'usine en face. Non que le bruit dérange Gérard Altorffer. Au contraire, il aime le vacarme, il aime les grues, les usines et les bateaux - et il aime le Port du Rhin. Un quartier en pleine transformation. Une population triplée à moyen terme, une crèche et un tram franco-allemands : le schéma directeur imaginé par la CUS redessine à coups de grands projets ce territoire transfrontalier.

Depuis des années, l'architecte retraité, responsable de la rénovation de l'ENA à Strasbourg, planche de son côté sur la transformation du quartier. Cependant, ses rêveries ne se matérialiseront peut-être jamais. Tout comme sa Maison Rouge. Il l'imagine en face de la Malterie. Elle restera probablement à l'état d'esquisse sur le mur de son atelier. Une parmi tant d'autres. N'empêche qu'il y met tout son coeur. Dans son antre d'urbaniste-rêveur, il imagine un tram vers Kehl façon toboggan, il voit la Coop devenir un lieu culturel avec une énorme horloge astronomique. Et dans la friche « Schutzenberger », il installerait bien un salon de thé « où l'on venderait des gâteaux et des cactus », dit-il, laissant échapper un petit sourire malin. Gérard Altorffer sait faire preuve d'autodérision.

« Alto » offrira ses idées en janvier

Dessins, scénographies, gammes de couleurs et un grand dragon en fer qui pendille dans la salle - sculpture en fer exposée par son voisin, l'artiste Valentin Malartre - le lieu de travail de Gérard Altorffer, dans un ancien dépôt sur la surface de la Coop, ressemble lui aussi à un atelier d'artiste. Pourtant à la base « Alto »– c'est comme ça qu'il veut qu'on l'appelle – est architecte, mais surtout « urbaniste » dit-il.

C'est un personnage qu'on connaît à Strasbourg. « J'ai des contacts avec des hommes politiques locaux, faits de bas et de haut », dit-il. Retraité depuis cinq ans, cet homme de 72 ans prend encore sa passion très au sérieux. Dans son atelier, des petites tours de magazines d'architecture s'érigent sur plusieurs grandes tables devant un grand mur orange foncé. Le chaos créatif, mais pas sans arrière-pensée. Alto ne détesterait pas se retrouver un jour ou l'autre dans le cercle des gens qui façonnent l'avenir du Port du Rhin. En début d'année prochaine, il compte présenter ses «études» aux candidats aux municipales. « Je crois en l'idée de la démocratie participative où les idées peuvent venir du bas sans qu'il y ait eu de commande », dit-il.

Son premier contact avec le quartier s'est fait il y a une douzaine d'années, quand le candidat aux municipales Luc Gwiazdzinski l'a interrogé sur l'avenir urbanistique de Strasbourg. « Il m'a demandé de lui dessiner un nouveau Port du Rhin et je n'ai jamais arrêté depuis », dit Alto. L'air au dessus du radiateur à gaz papillote à côté de lui. Les mégots dans le cendrier se multiplient.

Des logements dans le port du Strasbourg ?

Pour Altorffer, Strasbourg doit devenir une ville portuaire. La zone du port est une des seules encore exploitables pour l'habitat. « Strasbourg doit se marier avec son port pour grandir », explique celui qui n' a pas peur du bruit. « Ce sont les fous qu'on met au silence. » Alto regrette ce qu'on appelle le zonage. « Je milite pour que tout soit de nouveau sur un seul endroit, le travail, l'habitat et les loisirs ». La mutation du Port du Rhin est, selon lui, l'occasion d'en faire un modèle.

Si la CUS n'est pas emballée à l'idée de mêler installations portuaires et habitat, elle apprécie néanmoins les idées d'Altorffer sur le projet des Deux Rives. « Les idées utopiques, quand on les fait atterrir, peuvent bien nous servir », dit Sébastien Bruxer de la CUS. Le chef de projet de la mission Deux-Rives n'exclut pas de recourir à l'expertise d'Altorffer, une « force vive », comme il dit.

Dans toutes les rêveries de Gérard Altorffer, il y a cependant un endroit que l'architecte ne modifierait pas. La cité Loucheur, un ensemble d'habitats sociaux longtemps délaissé. « Les 1500 habitants de la cité ne sont pas un enjeu », avance l'architecte, sans se soucier du politiquement correct. Ils les considère comme une minorité parmi les nouveaux habitants. Et il pense qu'ils vont profiter des changements en dehors de la cité. Un conflit social entre nouveaux et anciens habitants ? Il n'y croit pas – et se remet à penser un Port du Rhin qui fait rêver – au moins lui, l'idéaliste, dans sa bulle, au milieu d'un quartier isolé.

Verena Hölzl

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