16 octobre 2013
Sashina Vignes-Waran, championne de badminton d'origine malaisienne, a obtenu cet été la nationalité française. Une quête de longue haleine.
«Madame, je vous informe que vous êtes française depuis le 21 août 2013.» C'est avec un grand sourire que Sashina Vignes-Waran répète les mots inscrits sur sa lettre de naturalisation. Pendant neuf ans, la numéro un du badminton français, d'origine malaisienne, a lutté pour ce résultat. Le 22 octobre, elle va participer aux Yonex Internationaux à Paris, l'une des douze plus grandes compétitions internationales. Ce n'est pas la première fois que la jeune femme de 25 ans s'y présente, mais la première en tant que Française.
Sashina a commencé le badminton à l'âge de huit ans en Malaisie. « Mes parents m'y ont mis pour que je fasse un sport et en Malaisie le badminton est le sport national, c'est comme le foot en France », sourit-elle. D'abord l'ainée tape dans le volant avec sa famille, en mode hobby. Mais Sashina et l'une de ses quatre sœurs, Teshana, y prennent goût : « Je consacrais tout mon temps libre à jouer, même à la maison je pratiquais contre le mur ou une table.»
En 2003, l'entraineur de l'ASPTT Strasbourg, Julien Fuchs, est avec des amis en stage à Kuala Lumpur, à l'académie des sœurs Vignes-Waran. «Les parents de Sashina et Teshana nous ont souvent invité à manger et nous ont fait découvrir le pays», se souvient-il. De retour à Strasbourg, ils invitent les deux filles à y venir en vacances. Après ce séjour, leur père demande à l'entraineur si ses filles pourraient rester en France. «Au début je me suis dit "c'est impossible", elles étaient encore très jeunes.» Mais Julien Fuchs se renseigne quand même. Surveillant au CREPS il leur trouve un logement sur place et une classe internationale prête à les accueillir. Les sœurs saisissent cette occasion de partir de Malaisie, pays où leur religion hindouiste leur cause des difficultés pour s'imposer «dans un sport dominé par les bouddhistes», explique Sashina.
Quand elles arrivent à Strasbourg, Sashina a 16 ans, Teshana 15. Pendant cinq ans elles partagent une chambre de 20m2. Parallèlement à l'entrainement, elles fréquentent le collège, puis le lycée Pasteur. « Au début c'était vraiment difficile, se souvient Sashina. On ne parlait pas la langue, notre famille était loin et la culture française très différente de la nôtre. »
Le chemin vers la naturalisation s'avère tout aussi ardu. Deux demandes, déposées en 2004 et en 2006, ont été refusées. « La première fois, c'était parce qu'on ne vivait pas encore depuis cinq ans en France. La deuxième fois ils nous ont dit qu'il nous fallait un contrat de travail », résume Sashina.
Mais avec le soutien du club, les sœurs Vignes-Waran surmontent les obstacles et décrochent un bac S et un CDI à l'ASPTT. Sashina s'inscrit à un DU (Diplôme universitaire) de management, qu'elle terminera en mars 2014. Et en août 2013, elles obtiennent officiellement la nationalité française.
"Il fallait juste un papier"
Le jour où la lettre, si longtemps attendue, arrive, Sashina se trouve en Malaisie chez sa famille. C'est sa sœur, restée dans leur appartement à Koenigshoffen, qui lui apporte la bonne nouvelle. « Au début je me suis dit "non, ce n'est pas possible". J'ai mis du temps à réaliser. Mais quand j'ai mis les pieds dans mon appartement, j'ai pensé: "Voilà, je suis enfin chez moi". »
La vie des sœurs Vignes-Waran change du jour au lendemain: fini le temps, où elles ne pouvaient pas se présenter à des compétitions de référence réservées aux françaises. Finie la débrouille sans le soutien financier de la fédération. «Sashina perdait de l'énergie dans ce combat, je pense que la naturalisation, ça va la libérer », explique Julien Fuchs. « Avant au quotidien on vivait quelque chose de pas facile, confirme-t-elle C'est dingue, pour que ça change, il fallait juste un papier. »
Le mois de leur naturalisation, Teshana Vignes-Waran a quitté Strasbourg pour intégrer l'Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance (INSEP) à Paris. Sashina, elle, a décidé de rester : « J'ai mon entraineur et toute mon équipe ici ». «C'est une chance pour les deux. Teshana vivait un peu du nom de sa soeur. Sashina, elle, apprend l'autonomie», estime Julien Fuchs.
Depuis les sœurs ne se sont vues que très peu, la dernière fois le 15 octobre, jour où la fédération a organisé une grande reception pour fêter leur naturalisation. « Parfois elle me manque un peu, avoue Sashina. Mais on se croise aussi en compétition. » Ce sera aussi le cas aux Yonex Internationaux. Toutes les deux avec le maillot tricolore.
Judith Kormann
Sashina Vignes-Waran, championne de badminton, est en pleine préparation pour les Yonex Internationaux. (Vidéo: Judith Kormann/ CUEJ)