Implanté depuis 1997, l’Olympique Strasbourg cherche à poursuivre son intégration dans le quartier. Sa politique d'ouverture se heurte à des infrastructures insuffisantes et reste tributaire du volontarisme des pouvoirs publics.
Rue du Rieth au nord de Cronenbourg, une foule de jeunes garçons en crampons cavalent sur un terrain en synthétique flambant neuf. Plusieurs grappes de supporters entourent le terrain, essentiellement des mères avec des poussettes ou des groupes de jeunes venus passer le temps en observant les premiers exploits du petit frère. Le club fondé par et pour la communauté turque, a mué pour mieux s’ancrer dans le quartier avec le désir d’occuper une place privilégiée dans la vie de ses habitants.
Au départ, c’est l’histoire d’une bande de copains fâchés avec la direction de leur club. Décidés à mettre sur pied leur propre structure, ils ressuscitent l’Olympique Meinau dans les années 1990. "C’était une coquille vide puisqu’on n’avait même pas de stade. On jouait un peu partout à Strasbourg, raconte Omer Sahin, joueur de l’époque et récemment nommé président d’honneur du club. J’ai fini par repérer le stade qu’on occupe aujourd’hui alors que j'habitais le quartier." Après concertation avec la mairie, ils obtiennent le droit d’en faire leur terrain de jeux. L’Olympique Meinau devient l’Olympique Strasbourg.
© Claire Birague
Ce samedi 9 novembre, une séance de pénalties animée oppose les U9 de Koenigshoffen à ceux de l'Olympique Strasbourg. © Valentin Bechu
Au sein de l’équipe fanion, son entraîneur Mohamed Khettab observe "la présence de joueurs d’origine maghrébine, turque, africaine". Cette mue a été constatée par Jean-Christophe Pasqua, journaliste aux Dernières Nouvelles d’Alsace spécialisé dans le foot local : "Le nouveau président fait vraiment sortir le club de la logique communautaire. Les relations avec les journalistes sont allées en s’améliorant depuis son arrivée."
Une ouverture sur le quartier
Les dirigeants du club ne font pas mystère de l’élan communautaire qui a animé l’Olympique à ses débuts, au point de reprendre le drapeau national turc en guise de blason. Dorénavant, sur et autour du terrain, les expressions et noms turcs côtoient les idiomes du monde entier, preuve que le club "s’est ouvert", selon le président Aziz Soylu. Symbole de cette transformation, le renouvellement de l’emblème de l’équipe : un footballeur en action s’est substitué au drapeau. Seules les couleurs du pays (rouge et blanc) et deux étoiles blanches à cinq branches renvoient à la Turquie.
Pour se développer, accueillir de nouveaux joueurs et se lier au quartier, Omer Sahin s’est rapidement aperçu que "ça ne pouvait pas marcher en restant entre Turcs". Certains anciens se sont opposés à cette ouverture et Aziz Soylu a dû se résoudre à "dégager" les récalcitrants.
Aujourd’hui, le club est plus divers. Cette évolution a convaincu Hasan Yildirim de le rejoindre. Responsable de la section jeunes depuis un an, il ne se voyait pas "demander leur carte d’identité aux joueurs" et désirait se concentrer sur le "rôle social" du club dans le quartier. D’une voix posée, il s’indigne : "Les gamins arrivent à l’entraînement le soir sans avoir mangé, les autres viennent simplement pour prendre leur douche."
Accolé à la Cité nucléaire, le club draine des joueurs d’un territoire classé Quartier prioritaire de la ville (QPV) en 2015. Le territoire est marqué par une densité démographique supérieure à la moyenne des autres QPV alsaciens et 35 à 55% des ménages habitant la zone vivent sous le seuil de pauvreté (base de données IRIS à partir des données 2015). "Une part importante des familles de licenciés ont recours à l’aide au sport dispensée par la CAF (Caisse d'allocations familiales) et la MSA (Mutualité sociale agricole)", confie Soylu Aziz. La licence est au prix de 130 euros, une somme qui inclut le survêtement, obligatoire pour tous les joueurs.
Une popularité en hausse
Le club croule sous les requêtes de parents pour licencier leurs enfants. De nouvelles équipes dans toutes les catégories d’âge ont été créées, sans pouvoir absorber toutes les demandes.
Aziz Soylu, ici au bord du terrain de Duttlenheim, est le grand artisan de la mue du club cronenbourgeois. © Facebook / Olympique Strasbourg
Hasan Yildirim, responsable des jeunes à l'Olympique Strasbourg, a vu ses effectifs décupler. © Valentin Bechu
Ce dernier permet de multiplier les créneaux d’activité mais l’Olympique doit continuer à composer avec du temporaire : deux petits vestiaires (à peine de quoi mettre une équipe entière) et deux préfabriqués faisant office de club-house pour l’un, de réserve de matériel pour l’autre. Des installations qui, selon le règlement de la Fédération française de football, ne permettent pas à l’équipe première d’évoluer à domicile : les matchs sont délocalisés à Koenigshoffen cette saison. Un crève-cœur pour Soylu Aziz, qui génère par ailleurs un manque à gagner pour les finances du club : "Il est plus difficile de faire payer l’entrée quand tu ne joues pas à la maison."
La Ville a validé la construction de nouveaux vestiaires et d’un terrain supplémentaire en même temps que celle du nouveau terrain principal. Cette deuxième partie des travaux constitue un investissement de 800 000 euros environ.
Mariama Sarr est venue encourager son fils nouvellement inscrit et n’a pas hésité à "un peu harceler les dirigeants" pour qu’il puisse intégrer l’Olympique. Âgé de 9 ans, le garçon était pressé par ses "copains d’école" pour rejoindre l’équipe U9. Avec 300 licenciés cette année, le club a enregistré une hausse des inscriptions de 50% environ. Hasan Yildirim a renforcé l’exigence vis-à-vis des parents : "On refuse les plus jeunes dont les parents ne se rendent pas disponibles pour amener et récupérer leurs enfants à l’entraînement." La direction estime que la responsabilité de l’accueil des mineurs est trop importante pour être assumée par le club sans un investissement minimum des parents. Et avec cet afflux de nouveaux joueurs, l’attente d’un complexe sportif à la mesure de l’association sportive se fait plus pressante que jamais.
Une maison en chantier
Soylu Aziz s’étonne encore du temps qu’il aura fallu à la livraison du terrain synthétique. Les discussions avec la Ville ont commencé il y a dix ans. Plusieurs projets ont avorté avant la validation et la livraison, en 2018, du nouveau terrain, pour un montant de 1,2 million d’euros.
Le club house n'a pas accès à l'eau courante "mais on a des nouilles instantanées", plaisante un bénévole. © Valentin Bechu
Problème : le permis de construire n’est toujours pas affiché alors que les travaux devaient débuter en novembre. Interpellé sur le sujet, Serge Oehler, adjoint au maire en charge des finances et des sports, par ailleurs délégué au quartier de Cronenbourg, promet de "faire le point au plus vite".
Des subventions insuffisantes
L’inadéquation entre la demande des clubs de football et les équipements sportifs disponibles n’est pas spécifique à l’Olympique Strasbourg. La problématique touche la ville dans son ensemble. Avec un unique terrain pour 400 licenciés, le FC Kronenbourg n’est pas mieux doté, à tel point que ses jeunes doivent se changer dans les caves du club-house. "On n’a pas suffisamment de terrains de football pour tous les clubs", regrette Serge Oehler, qui y voit une équation quasi insoluble.
En attendant, le ressentiment est vif. Hasan Yildirim dénonce la politique sportive de la Ville dans laquelle le Racing Club de Strasbourg est trop souvent "prioritaire". Serge Oehler, quant à lui, voit là "un problème de terrains constructibles disponibles" ainsi que "la lenteur administrative pour débloquer les budgets, surtout avec l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine)". Les dirigeants de l’Olympique Strasbourg ne baissent pas les bras et entendent bien faire entendre leur voix. Ils réfléchissent à la manière de faire pression sur les pouvoirs publics et permettre à l’association de se sentir, au bout de l’effort, enfin chez soi.
Valentin Bechu