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Un réseau d'acteurs (associations, entreprises, organismes publics) accompagne quotidiennement des jeunes isolés. Un travail au long cours qui vise à insérer ce public socialement et professionnellement.

"Ça fait deux ans que je ne fais rien. Maintenant je veux travailler." Florian, jeune habitant de Cronenbourg a arrêté son CAP cuisine depuis deux ans "parce que c’était trop dur". Il est suivi depuis un an par les éducateurs du Service de prévention spécialisé (SPS). Aujourd’hui, il passe un entretien pour s’engager pendant six mois dans un service civique auprès du SPS, pour acquérir de l’expérience, mais aussi gagner un salaire à hauteur du SMIC. "Je ne me vois pas rester tout le temps chez moi", dit-il. A côté de lui, Mohammed, 17 ans, déscolarisé, postule également au SPS : "Si je fais tout ça, c’est pour ma mère. Elle veut pas me voir sans rien faire".

Pour Norbert Krebs, chef de service au SPS, "le travail c’est fondamental : ça permet d’avoir des ressources, de rencontrer des personnes d’un autre milieu que le sien, de développer des compétences et en général de s’inscrire dans la société".  Mais si le travail permet une socialisation plus importante, il implique aussi d’en connaître les codes.

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Mohammed (gauche) et Sofiane (droite). © Myriam Mannhart

Le Service de prévention spécialisé

Le Service de prévention spécialisé (SPS) est une association intermédiaire implantée au 5 place de Haldenbourg. Il propose des chantiers éducatifs aux jeunes, comme de la rénovation d’appartement.

Le SPS rassemble une équipe de cinq éducateurs spécialisés. Il a pour mission de "favoriser l’inclusion d’un public jeune, fragile et isolé", âgé de 12 à 24 ans en milieu ouvert "c’est-à-dire qu’on n’est pas en établissement, on travaille sur le lieu de l’habitat" explique Norbert Krebs.

Le SPS suit les personnes sur un plan professionnel, mais "toutes les entrées sont possibles", selon lui. De la conception d’une lettre de motivation jusqu’à des cas personnels comme l’épanchement d’une dette.

La mission du SPS est de rapprocher le jeune vers le travail considérant qu’il est un aspect important de l’inclusion sociale. L’association suit environ 200 jeunes en accompagnement individuel et met en place un accueil collectif tous les après-midis, de 14h à 17h.

 

"Tous les jours, je demandais à un jeune que je suivais de se lever une demi-heure plus tôt pour venir me voir. Ça a pris un mois entier mais quand il y est arrivé, je lui ai dit : Tu vois ? C’est possible !" Marie, éducatrice de rue au SPS, raconte comment elle travaille avec les jeunes. L’un des gros problèmes selon elle, c’est leur manque d’employabilité. Se lever à l’heure, parler poliment, savoir se présenter, enlever ses écouteurs quand on rentre dans une pièce…

Dans le nord du quartier de Cronenbourg, le chômage s’élève à 17,8 % de la population, soit quasiment le double de la moyenne française. "En fait le chômage ça devient une habitude, explique Norbert Krebs qui dirige une association qui aide les personnes les plus éloignées de l’emploi à reprendre le travail. Notre mission, c’est aussi d’accompagner un public jeune mais aussi des personnes isolées." C’est rendre "employable" une population qui a perdu les habitudes du travail et les savoir-être pour trouver un métier dans une entreprise.

"C'est plus dur pour les jeunes de la cité"

Les associations s’efforcent d’élargir l’horizon des jeunes. "On fait un gros travail de mobilité avec eux. Certains ne sont même jamais allés à l’Orangerie, dit Nathalie, conseillère à la mission. Quand on les aide à trouver un stage, c’est tout le temps en dehors de Cronenbourg, hors de leurs zones géographiques". Ce manque de compétences sociales est un handicap pour l’accès à l’emploi des jeunes. "C’est sûr que c’est dur pour tout le monde de trouver du boulot aujourd’hui, mais c’est plus dur pour les jeunes de la cité. On ne veut pas les embaucher", constate Florian, avec fatalité.

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Marie (droite) est éducatrice spécialisée pour le Service de prévention spécialisé. Marion (gauche) est stagiaire pour le SPS. Toutes deux encadrent une sortie au bowling de l'Orangerie pour évaluer le dynamisme d'un groupe d'une dizaine de jeunes. Six d'entre-eux seront sélectionnés pour effectuer un service civique pour le SPS. © Juliette Mylle

 

Inutile de forcer le jeune à aller vers un parcours stéréotypé qui ne lui conviendra pas. a ne marchera pas" tranche Marie. Il faut que la volonté de travailler vienne du jeune. Par exemple, même si Zaina, 20 ans et déscolarisée, avoue que c’est sa mère qui a pris les premiers contacts avec le SPS, elle reconnaît que "c’est important de travailler, je m’en rends compte".

Bouteina, 17 ans veut obtenir un service civique au SPS dans le but de travailler dans le social malgré son échec au bac pro. Une façon d’être plus qualifiée pour être employable alors que "l’école c’est pas pour moi". Assise à ses côtés, Zaina confirme cette vision : "ça fait de l’expérience." Mais avant tout, elles ne veulent pas continuer à rester à la maison sans rien faire. Quant à Sofiane, 17 ans, il concède : "Je veux reprendre quelque chose parce que ça fait trop longtemps que j’ai lâché."

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La mission locale aide les jeunes de 16 à 26 ans dans leurs recherches d'emploi et leur orientation. L'antenne qui s'occupe du quartier Cronenbourg est située au 11 Rue Alfred de Vigny à Strasbourg. © Myriam Mannhart

Le SPS commence par un repérage via les éducateurs. "C’est un travail de contact. On va vers les jeunes même si ce travail est limité par le fait que certaines personnes ne sont pas dans la rue comme les filles", raconte Norbert Krebs. Pour inciter les jeunes à se tourner vers le SPS, il multiplie les interventions en faisant des ciné-débats, des tournois de foot interquartiers ou des interventions en collège. L’objectif est de développer une relation avec les jeunes et "être force de proposition", souligne Norbert Krebs. Marie, se rend souvent au futsal près du Centre social et culturel Victor-Schoelcher avec des jeunes filles d’une dizaine d’années. "Ça permet de me faire connaître comme éducatrice. Elles savent qui je suis, ce que je fais, même si elles n’ont pas besoin de moi tout de suite", résume-t-elle.  

Rendre le travail attractif

Comme première expérience de l’emploi, le SPS propose aux jeunes des chantiers éducatifs en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). "Dans le but de les mobiliser et leur donner une meilleure vision du travail, leur montrer que ce n’est pas dégradant, qu’ils peuvent tirer une fierté du travail dans une bonne ambiance, comme l’explique Norbert Krebs. Il faut les mobiliser parce qu’ils n’ont pas une bonne estime d’eux-mêmes, leur montrer qu’ils peuvent se lever le matin et tenir une journée". Ainsi, les jeunes ne sont pas obligés de faire une semaine de 20 heures. Il s’agit de les convaincre de travailler pour un SMIC alors que "certaines anciennes amitiés délinquantes les dénigrent".

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Sofiane passe un entretien au bowling pour effectuer un service civique avec le SPS. © Juliette Mylle

Le SPS travaille en réseau avec d’autres acteurs de la réinsertion, par exemple la mission locale pour l’emploi. Son but est d’accompagner les jeunes de 16 à 26 ans vers l’emploi. Outre les jeunes déscolarisés qui ne trouvent pas de travail, ces acteurs accompagnent des mères de familles et des personnes qui ont quitté leur emploi suite à un accident de parcours. Selon Frédéric Cisnal, accompagnateur socio-professionnel chez Novea 67, "quand on rencontre des gens qui veulent entrer dans un parcours d’insertion, il y a souvent des accidents de vie, différentes raisons qui font qu’ils sont sans ressources : des SDF, sortants de prison, travailleurs handicapés, réfugiés politiques, etc". "Sur le territoire, on a tous un rôle. On doit s’imbriquer avec les autres, précise Nathalie. Quand les liens commencent à se distendre entre nous, il y a moins de jeunes qui viennent".

Aussi dense que soit ce réseau, une partie des jeunes lui échappe toujours. Marie le dit : "Mon objectif personnel, c’est de rencontrer plus de filles."

Les Structures d'insertion par l'activité économique (SIAE)

Les structures de mise à disposition

Les Associations intermédiaires (AI) concernent les personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles. Elles délivrent un travail occasionnel, des chantiers éducatifs, par exemple.

Les Entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI) sont des agences d’intérim centrées sur l’insertion professionnelle.

Les structures de production

Les Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) sont des associations qui proposent une activité professionnelle aux personnes éloignées de l’emploi. Ils offrent un travail temporaire aux personnes en insertion et constituent un tremplin vers le monde du travail.

Les Entreprises d’insertion (EI) opèrent dans le secteur marchand avec une finalité sociale et propose une activité productive assortie de prestations. Elles offrent un emploi stable après un parcours d’insertion et peuvent être vues comme une dernière étape avant une insertion définitive dans l’emploi. Le parcours d’insertion peut durer des années ou ne jamais aboutir.

Référents sociaux

La Mission locale pour l’emploi a un statut d'association et est membre du Service public de l'emploi. Elle accompagne les jeunes de 16 à 26 ans dans leurs recherches d'emploi et d'orientation. 

 

 


"Rendre les gens actifs face à leur avenir"

Frédéric Cisnal, 50 ans, est accompagnateur socio-professionnel pour l’entreprise Novea 67. Son rôle : suivre les personnes éloignées de l’emploi afin de les réinsérer durablement dans le travail. 

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Frédéric Cisnal, accompagnateur socio-culturel depuis cinq ans. © Marie Vancaeckenbergh

Novea 67, entreprise d'insertion

Novea 67 est une entreprise de transport et de livraison expresse, située au Marché-Gare. Elle emploie 48 personnes dont 22 chauffeurs/livreurs en contrat à durée déterminée d’insertion.

Comme d’autres entreprises d’insertion (EI), Novea 67 perçoit des aides de l’État et des collectivités territoriales pour former ses salariés et les réinsérer dans le travail. La hauteur de ce financement est défini sur la base d’un socle fixé à 10 363 euros par an et par équivalent temps plein. À ce minimum s'ajoutent des montants variable en fonction de multiples critères : les caractéristiques des personnes embauchées, les moyens mis en œuvre pour l’insertion et le nombre de parcours d’insertion réussis les années précédentes.

En moyenne, une entreprise d’insertion génère 85 % à 90 % de ses recettes grâce à sa production et 10 % à 15 % proviennent des financements publics, d’après l’Agence d’ingénierie pour développer l’économie sociale et solidaire (Avise).

Pourquoi Novea 67 a décidé de faire de l’insertion ? 

Nous connaissons des gros problèmes de recrutement depuis presque trois ans. Le métier de chauffeur/livreur est en tension. Il y a plus d’offres que de demandes. Beaucoup de gens ne veulent plus exercer ce métier. Il est physique et pas très bien rémunéré. 

En manque de CV, je me suis manifesté à la mission locale et à Pôle emploi. 

Qu’est ce qu’une entreprise d’insertion (EI) ?

C’est une entreprise qui a passé un agrément avec l’État pour embaucher des personnes considérées comme éloignées de l’emploi en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). 

Ce sont des contrats valables quatre mois, renouvelables jusqu’à deux ans maximum. Novea 67 essaie d’avoir 50 % de contrats d’insertion et 50 % de CDD et CDI. 

Nous avons pour obligation d’avoir 60 % de sorties positives par an. Une sortie positive c’est une personne qui va trouver un CDI, un CDD de six mois, ou une formation qualifiante (BEP, CAP, BTS, licence), à la fin de son contrat ici.

Qui est concerné par ce type de contrat ?

Pôle emploi décide si une personne est éloignée de l’emploi. Je reçois un CV, il m’intéresse, j’organise un entretien. Il faut ensuite faire une demande de pré-agrément à Pôle emploi, expliquer la situation de la personne et montrer en quoi le parcours d’insertion lui serait bénéfique. 

On a des réfugiés politiques, des personnes qui viennent d’Afrique, de Tchétchénie, de Russie. On a aussi des personnes qui vivent en France et qui ont connu d’autres soucis. Pour une mauvaise histoire d’amour, un employeur qui les a détruit, une dépression grave, une personne peut tomber très bas. La personne la plus âgée qu’on a en insertion à 55 ans. On travaille sur de l’être humain. C’est un combat au quotidien.

Quel rôle jouez-vous auprès des personnes en insertion, en tant qu’accompagnateur socio-professionnel ? 

Je suis le Monsieur social dans la maison. Les accompagnateurs socio-professionnel aident les personnes à résoudre leurs problèmes : endettement, santé, logement, etc. On parle aussi de savoir-être. Savoir se présenter chez un client, représenter son entreprise, gérer son stress, ça s’apprend.

Je ne suis ni psychiatre, ni psychologue, mon boulot c’est d’aider les personnes pour qu’elles vident leur sac, de les remotiver, de mettre en évidence leurs compétences. Je ne suis pas là pour taper sur la table. Mon idée c’est de rendre les gens actifs face à leur avenir. 

Quand les gens sont en insertion professionnelle ici, ils sont totalement libres du choix de leur projet professionnel. Nous ne sommes pas là pour imposer une formation à la personne. Le but d’un accompagnateur socio-professionnel est de vérifier la pertinence de ce projet et d’aider les personnes à le monter.

Marie Vancaeckenbergh, Myriam Mannhart et Juliette Mylle

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