Au quartier de l’ancien abattoir, Guy Eberhardt narre l’histoire de la maison familiale, construite il y a presque cent ans par son grand-père. Enfant, il y a passé ses week-ends, puis l’a habitée à l’âge adulte. Aujourd’hui âgé de 66 ans, ce Cronenbourgeois vit toujours au 7 rue de Kuttolsheim.
Coincé entre l’autoroute A4, le site du Marché Gare et le magasin Ikea, un petit quartier détonne. S’y tient une trentaine de maisons, imposantes, aux allures bourgeoises. Au 7 rue de Kuttolsheim, derrière un petit portail noir, se dresse une bâtisse à la façade bleu azur, vieillie par le temps.
En 1932, le grand-père de Guy Eberhardt fait construire la maison familiale au 7 rue Kuttolsheim. Aujourd'hui, cela fait 40 ans qu'il y habite avec sa femme Patricia. © David Darloy et Julien Lecot
C’est la demeure de Guy Eberhardt, 66 ans. Il y vit depuis 40 ans avec sa femme Patricia. C’est une maison de famille, au sens propre du terme. En 1932, son grand-père, Joseph Eberhardt, huissier de justice, l’a faite construire (voir photo). Selon Guy, son grand-père fut “l’un des premiers à avoir une voiture privée à Strasbourg”. À l’époque, ce qu’on appelle aujourd’hui le quartier de “l’ancien abattoir” ne comptait qu’une poignée de maisons. L’autoroute construite en 1972 à quelques centaines de mètres n’existait pas. Tout comme le Marché Gare, pôle majeur d’acheminement de la nourriture à Strasbourg, ouvert en 1965. Enfin, l’abattoir ne verra le jour qu’en 1968, avant d’être remplacé par l’enseigne Ikea en 1999.
© David Darloy et Julien Lecot
Grâce aux nombreuses photos d’archives gardées dans d’imposants classeurs et aux témoignages de ses aînés, Guy assemble les morceaux du récit familial, notamment ceux de la deuxième Guerre mondiale qu’il n’a pas connue. La famille Eberhardt possède une maison à Quiberon, en Bretagne. Au début de la guerre, elle s’y réfugie. “Avant de partir à Quiberon, mes grand-parents avaient enterré toutes les bouteilles de vin, pour que les Allemands n’en profitent pas” raconte Guy.
Durant son enfance, Guy résidait au centre ville de Strasbourg avec ses parents et ses deux soeurs. Roger, son père, avait repris l’étude d’huissier familiale. Cependant, c’est au 7 rue de Kuttolsheim qu’ils passaient tous leurs week-ends. “On pouvait aperçevoir Shilick [Schiltigheim, NDLR] au loin”, se souvient-t-il.
Les réunions de famille étaient synonymes de détente, mais aussi de travail. Son grand-père lui faisait arracher les mauvaises herbes dans le jardin. "Qu’est-ce que c’était chiant ! se rappelle le retraité, sourire aux lèvres. Mais à 16h précises, c’était toujours pause tartines beurre et sucre, avec un verre de limonade.”
Guy Eberhardt (à droite) aux côtés de sa mère, Marie-Hélène et de sa soeur devant la maison familiale au milieu des années 1950.
Guy Eberhardt, en short au centre, construisant avec ses enfants et des amis une piscine dans le jardin au début des années 1990.
En été, les petits-enfants lui donnent un coup de main pour jardiner : “Creuser, tous les gamins aiment ça.” Une soixantaine d’années auparavant, lui aussi retournait la terre devant la maison avec son grand-père. Le terrain s’étendait alors jusqu'à l’actuel Ikea.
Quand ses petits-enfants ne sont pas là, Guy reste disponible pour “donner un coup de main” à ses voisins. Il est impliqué dans l’association de quartier, dont il est l’un des membres fondateurs. Président d’honneur, il s’occupe de la rédaction du journal à destination des 70 familles qui vivent dans le quartier de l’ancien abattoir “pour que tout le monde soit au courant de ce qu’il se passe”.
La carte d’identité de Lina Eberhardt, la grand-mère de Guy, délivrée et tamponnée par l’Allemagne nazie sous l’Occupation, en 1943. © David Darloy et Julien Lecot
Quand il n’était pas dans le jardin, Guy jouait dans le quartier avec d’autres enfants. Il se rappelle un événement qui lui a valu les foudres de son grand-père : “On allait sur les rails avec d’autres enfants, on y mettait des cailloux ou alors des pièces de monnaie pour les aplatir. Des trains de marchandises passaient. Mais une fois, les gendarmes sont venus chez mon grand-père. On s’est tous bien fait engueuler !”
En 1979, le grand-père de Guy décède. Afin que la maison reste dans la famille, il vient y habiter avec sa femme. Dans la foulée naît Julien, leur premier enfant : “Quand on est rentrés de l’hôpital, l’électricien faisait encore des travaux." Deux ans plus tard suivra Vincent, et enfin Charlie. Entretemps, le quartier a beaucoup changé. L’autoroute A4 est venue couper l’accès à Schiltigheim, rendant le quartier plus bruyant.
Un été, au début des années 1990, toute la famille se rassemble pour construire une piscine. Bricoleur, il transmet à ses enfants son passe-temps : “Ils allaient dans le jardin, ils faisaient des cabanes. Mes marteaux disparaissaient, j’en rachetais tout le temps. Il y en a sûrement qui sont encore enterrés aujourd’hui.”
Guy se rappelle d’une journée où leur passion pour les expérimentations est allée trop loin : “Ils étaient à la cave, ils ont mélangé tous mes produits d’entretien et de jardinage, à la MacGyver. À table, on a senti une odeur de fumée. J’ai appelé les pompiers et le centre anti-poison. Les pompiers ont dit qu’il manquait juste un produit, et boum ! Plus de maison.”
Au cours de sa vie, Guy a régulièrement changé de métier. Facteur, mécanicien, fleuriste ou encore vendeur de bretzels, il n’est jamais resté plus de neuf ans dans la même branche. Malgré le souhait de son père, il n’est pas devenu huissier : “Toute la journée à la machine à écrire, ça ne me plaisait pas.”
Maintenant, Guy est grand-père. Les fêtes de Noël ont toujours lieu au 7 rue de Kuttolsheim. “Les gamins quand ils viennent, ils ne veulent plus repartir. Chez papy et mamie, on fait ce que l’on veut. On a le beau rôle, nous”, raconte-t-il, un sourire en coin.
Guy Eberhardt vit désormais seul avec sa femme dans 250 m². © David Darloy et Julien Lecot
Guy Eberhardt, sa femme, leurs enfants et petits-enfants à Noël en 2015.
David Darloy et Julien Lecot