Habitants, associations et commerçants tentent de redynamiser le Vieux-Cronenbourg. Des initiatives pleines de volonté aux résultats balbutiants.
“C’est un quartier qui se rajeunit avec des familles qui s’installent, des trentenaires, quadragénaires qui ont un ou deux enfants. Moi, je ne trouvais pas mon compte dans les choses qui étaient proposées dans le Vieux-Cronenbourg, constate Maxime Pénard, père de famille et primo-accédant. Le fait d’être propriétaire a nourri mon envie de m’intégrer davantage et d’essayer d’être acteur dans mon quartier.” L’aCROciation lui a offert un cadre. “Notre but, c’est de promouvoir l'échange et l'entraide, l'économie circulaire, solidaire et sociale, expose Benoît Pichon, président de l’association créée fin juin 2019. Permettre aux gens d’interagir entre eux, de se serrer les coudes, de mieux vivre. Le loisir, c'est en quelque sorte le ciment, ce qui va permettre aux gens de participer, de s’impliquer et de créer des choses dans le cadre de l'association.”
© Claire Birague
Maxime Pénard, vice-président de l'aCROciation. © Marylou Czaplicki
Ce sont des discussions sur le groupe Facebook “les voisins du Vieux-Cronenbourg” qui ont permis à une bande d'amis de concrétiser leur volonté commune de “redynamiser le secteur pour le rendre plus convivial, plus écolo et plus sympathique”. Depuis, pique-niques géants, trocs d’objets et rencontres rythment la vie du quartier.
“J’aime montrer aux gens qu’on peut être acteur de son quartier, sourit la trésorière Agnieszka Koziol, 39 ans. Vers janvier, je souhaiterais par exemple mettre en place des ateliers zéro déchet, des ateliers 'do it yourself' à très bas tarif pour qu’un large public y ait accès. Je voudrais aller chercher tout le monde, les personnes âgées isolées, les gens sans enfant, sans emploi, qu’il n’y ait pas qu’un seul profil dans l’association.”
Une dynamique, quelques accrocs
Les bénévoles se heurtent à des obstacles dans la réalisation de leurs projets. Ils doivent composer avec les obligations inhérentes au statut associatif et aux embûches des débuts.
Les 19 membres du “Cromité”, le comité directeur, ne s’attendaient pas à rencontrer un tel succès. D'une vingtaine de membres au départ, ils sont aujourd’hui plus d'une centaine dans l'aventure. “On sent un énorme engouement. Cela peut être un levier, mais c’est aussi ce qui est compliqué à gérer. On prend du temps à se connaître. Donc c’est beaucoup de discussions et peu d’action par rapport à ce que l’on espérait”, précise le vice-président.
“Nous avons suivi les recommandations de la Ville. Il nous a été déconseillé de rayonner à l’échelle de tout Cronenbourg car les problématiques sont très différentes”, explique Maxime Penard, vice-président de l’aCROciation. Pour l’instant, l’organisation se concentre sur une zone qui s'étend “de la voie ferrée au nord et à l’ouest, au quartier Gare avec la rue de Hochfelden à l’est, jusqu’à la route d’Oberhausbergen au sud”, détaille Benoît Pichon. Un élargissement de ce périmètre d’action n’est pas exclu. “Notre but à long terme, c‘est d’être plus inclusif, abonde Agnieszka Koziol. Il ne faut pas que cela soit un entre-soi.”
La librairie associative : “c’est un pari qu’on fait”
“Ce quartier, dans son histoire, n’a jamais été un lieu d’implantation de structures culturelles. Objectivement, à Cronenbourg, il n’y a rien”, affirme Gilles Million, actuel directeur de la Confédération de l’illustration et du livre Grand-Est et ancien dirigeant de la librairie L’Usage du monde.
Benoît Pichon, président de l’aCROciation. © Marylou Czaplicki
Celle-ci a fermé en 2015, après quinze ans d’existence, pour des raisons économiques mais également par “lassitude”. Cette disparition a éteint toutes les “lectures de contes pour les enfants, les rencontres avec des auteurs, les animations culturelles liées à l’activité de la librairie”.
Pour recréer une offre culturelle, Jean-François Savona, 63 ans, instituteur à l’école Camille-Hirtz, s'attelle à concrétiser un projet de librairie associative au 78 route de Mittelhausbergen : Le Fil rouge. L’endroit sera géré par une cinquantaine d'adhérents ayant rejoint l'association Livre ensemble, fondée il y a désormais trois ans. “La librairie associative, c’est un pari qu’on fait. Gilles Million, il était obligé d’en tirer un salaire. Nous, on n’aura pas cette charge-là”, remarque celui qui habite le quartier depuis vingt ans. Après une longue phase de recherche, le local a été acheté avec les fonds propres de l'instituteur et mis à disposition de l’association. Une fois la rénovation et les travaux de mise aux normes effectués, la librairie devrait ouvrir au début de l'année 2020. L’acquisition des livres et du matériel sera réalisée en partie grâce à un financement participatif autour de 8 000 euros. En attendant, l’association a déjà organisé en mai un atelier d'écriture et un spectacle de théâtre réservé à ses adhérents. “Notre ambition dans ce quartier, c’est d’amener les gens à la lecture. Il est important qu’on essaie quelque chose”, souligne Jean-François Savona.
Vers de nouveaux lieux de vie
“Je suis là depuis sept ans et tout ce que je fais, c’est en ville. Cronenbourg, c’est mon dortoir uniquement, glisse Marie Botzung, serveuse de 29 ans. Il manque un bar de jeunes, quelque chose de plus dynamique.” Un changement s’annonce peut-être avec l’implantation de nouveaux lieux de vie. Route de Mittelhausbergen, le Bonnet d’âne, bistrot de quartier qui a ouvert en juin, aspire à devenir un point de rassemblement avec son coin canapé, son baby-foot et sa décoration ouatée. Le dirigeant, Quentin Monnier, se réjouit que certains Cronenbourgeois s’approprient déjà l’endroit : “Des résidents sont venus proposer leurs idées : des passionnés organisent des soirées de jeux de société, d’autres un spectacle de magie et bientôt des joutes verbales.”
Les habitants s’investissent aussi dans le projet de réaménagement du square Saint-Florent. Des réunions publiques ont abouti à la sélection de plusieurs propositions : installation d’un parvis devant l'église, création d’un amphithéâtre végétalisé, maintien de jeux pour enfants jusqu’à 3 ans. Ces idées seront soumises à un architecte paysagiste qui se prononcera sur leur faisabilité.
Léo Bensimon, Lucie Caillieret et Marylou Czaplicki
Du cinéma Le Central à la discothèque Le Baron : l’histoire d’un lieu
“Je me rappelle avoir vu mon premier film en couleur là-bas, c’était Les Dix commandements ! Pour nous, c’était vraiment important d’avoir le cinéma dans le quartier”, se souvient Francine Pucker, 82 ans, qui réside à Cronenbourg depuis son enfance. Un arrêté préfectoral datant du 11 décembre 1936 atteste de l’autorisation d’installer un établissement cinématographique au 37 route de Mittelhausbergen : Le Central. Après une fermeture temporaire pendant la guerre, le lieu rouvre dans les années 50. Mais en juin 1969, une lettre adressée à la police du bâtiment de la Ville inaugure un nouveau chapitre : “Étant donné la crise actuelle du cinéma, qui n’est plus rentable, nous envisageons de transformer cette salle en dancing-cinéma.” La projection de films s’arrête au bout de quelques années au profit du dancefloor : Le Central-club 2001 d’abord, puis La Caverne, Le Silex, Le Calipso et enfin Le Baron. “Au début ça ne marchait pas mais c’était le temps de se faire connaître. Après ça fonctionnait très bien mais c’était harassant. Il fallait contrôler et surveiller, il y avait beaucoup de drogue à l’époque”, se remémore Françoise Martz, 72 ans. Nostalgique, elle a été la gérante du Silex de 1976 à 1979, avant de vendre l’établissement. Depuis 2004, plus aucune musique ne résonne à l’intérieur des murs décrépis. Accrochée à la façade, seule l’enseigne “Baron club VIP” rappelle la frénésie des nuits cronenbourgeoises.