Complémentaires et incontournables dans le quartier, les trois structures se distinguent par leur approche. Entre laïcité et religion, liberté et encadrement, les habitants ont le choix.
"Si vous ne connaissez pas Gérard, vous ne connaissez pas Cronenbourg", s’accordent à dire les habitants du quartier. Gérard Haehnel est, depuis 1981, à la tête d’une association protestante bien connue de Cronenbourg-cité : Les Disciples. Face au parc de la Bergerie, le Centre social et culturel (CSC) Victor-Schoelcher et l’Aquarium, son pôle jeunesse implanté au cœur de la Cité nucléaire, structurent également, depuis 50 ans, la vie des habitants. À chaque association son public dans la partie nord de Cronenbourg, où le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 34,4 %.*
Des loisirs pour toutes les bourses
"42 % de nos adhérents viennent de la Cité nucléaire, 40 % du Vieux-Cronenbourg, les autres de Schiltigheim et Hautepierre", détaille Laurent Cécile, directeur du CSC. À ses membres, le centre Schoelcher propose le mercredi et pendant les vacances scolaires un accueil de loisirs. "Cette année, nous organisons des défis inter-CSC. Dix enfants de primaire se déplacent pour participer à des épreuves sportives et artistiques pensées par les enfants des autres centres sociaux et culturels de la ville”, explique Valérie Kulak, responsable du pôle enfance. Les concurrents doivent être inscrits à l’accueil périscolaire. Pour les 6-12 ans, les familles déboursent annuellement entre 922,20 et 1966,20 euros.**
Valérie Kulak, responsable du pôle enfance du CSC Victor-Schoelcher. © Claire Birague
Quand le temps le permet, les enfants jouent dans la cour devant Les Disciples avant de retourner chez eux. © Claire Birague
Comme dans un monde à part, le premier étage accueille des jeunes de Cronenbourg, Hautepierre, Neuhof et Illkirch-Graffenstaden. Ils partagent une passion commune : la danse. Entrés et sortis par l’escalier de secours, ces jeunes, étrangers à la cité, n’ont que très peu de lien avec le public du local.
Les Disciples occupent le terrain
"Quand je mets mes enfants chez les Disciples, je suis serein", explique Abdellaziz Ramzi. L’association protestante remporte aussi l’approbation des établissements scolaires du quartier. "L’école de mon fils m’a conseillé de venir aux Disciples pour l’accompagnement scolaire", confie Zakia Belgacem, mère d’un garçon de 9 ans qui fréquente l’association depuis son entrée en CP. Selon Gérard Haehnel, 70 écoliers et 30 adolescents font chaque soir leurs devoirs sous la surveillance des bénévoles de l’association. "Il y a plusieurs années, le principal du collège Sophie-Germain m’avait demandé de faire partie du conseil d’administration, j’ai accepté et depuis j’y siège, se souvient Gérard Haehnel. Je suis au collège quasiment tous les vendredis matin pour parler des élèves en difficulté." Les devoirs terminés, certains enfants restent pour profiter de l’accueil de loisirs. Le fils de Zakia Belgacem en fait partie : "Maintenant, il vient aux ateliers le mercredi."
Composer avec les religions
Hébergés dans le sous-sol de l’église protestante de la Cité nucléaire, Les Disciples se définissent eux-mêmes comme une "association cultuelle et socio-culturelle". Leurs objectifs consistent, aux termes des statuts, à "soutenir le travail des paroisses et contribuer à l’épanouissement de la personne dans tous les domaines : physique, psychologique, spirituel et social, en fidélité à l’Évangile."
Pendant les petites vacances, Les Disciples organisent un voyage dans les Vosges. L’été, ce sont environ 80 enfants qui séjournent 15 jours au Centre de vacances de l’Église réformée à Arvert (Charente-Maritime). Des chants religieux sont parfois entonnés avant les repas. Selon le directeur, "l’association est un lieu où on vit la laïcité au sens premier du mot laïc ; c’est-à-dire dans l’acceptation de l’autre". Un animateur de l’Aquarium confirme : "Les Disciples font la même chose que nous, mais ils ont une étiquette religieuse, quand même." "C’est possible que des parents envoient leurs enfants ailleurs qu'aux Disciples parce que c’est une église", admet le pasteur.
Les familles musulmanes qui y déposent leurs enfants suscitent parfois l’étonnement, voire les critiques d’autres mères de la même confession : "Certaines femmes musulmanes, quand elles me voient sortir d’ici, elles me disent : 'Il ne faut pas aller là, c’est l’église !' ", témoigne Akila Bouchakur, qui confie ses deux filles à la structure depuis quatre ans. Une position tranchée loin d’être unanime au sein de la communauté.
© Claire Birague
Valérie Kulak explique avoir demandé à la mairie l’ouverture de places supplémentaires en accueil de loisirs : "En maternelle, nous avons 64 places aujourd’hui. Il nous en faudrait 80." Les enfants d’Abdellaziz Ramzi, arrivé dans le quartier il y a trois ans, ont fait les frais de ce manque de places. Pour faire garder ses fils, il a dû se tourner vers Les Disciples.
À quelques rues du CSC, pour 15 à 50 euros par an, l’association protestante accueille en majorité les enfants des familles de la cité. Les Disciples proposent des activités sportives, musicales ou créatives. Leurs tarifs très bas permettent aux familles plus défavorisées de profiter, elles aussi, d’un accès aux loisirs. Pour Marie-Louise Vernede, présidente de l’association du CSC, "la présence des Disciples dans le quartier est souhaitable. S'ils n'existaient pas, il faudrait les inventer".
L’Aquarium, un lieu de liberté pour les jeunes
Au centre de la Cité nucléaire, le local de l’Aquarium – "ni annexe, ni rattachement mais pôle jeunesse du CSC", comme tient à le souligner Laurent Cécile – est accessible à tous, gratuitement. En semaine, de 16h à 21h, entre qui veut. Des petits groupes se forment, investissent le gymnase et la cafétéria. Ils restent quelques minutes, sortent, reviennent, se rassoient, entament un autre jeu. "Ici c’est gratuit et on s’amuse bien", résume Adam, 12 ans, assis sur un des fauteuils rouges de la cafétéria, l’œil curieux. Le manque d’encadrement n’enchante pas tous les parents. "Je ne laisse pas mes enfants fréquenter l’Aquarium à cause de l’insécurité et des mauvaises fréquentations", confie une mère de famille née à Cronenbourg. À ces craintes, Abdelkader Khellaf, animateur au pôle jeunesse, répond que "les enfants ont l’impression d’être libres mais, en réalité, on les encadre de manière discrète". Ces adolescents, presque tous des garçons, viennent principalement de la Cité nucléaire. Ping-Pong, baby-foot, jeux vidéo : ils ont fait de l’Aquarium leur point de rencontre.
Gérard Haehnel, directeur de l'association Les Disciples. © Manal Fkihi
Tous les mercredis, les enfants s'essaient à la peinture aux Disciples. © Claire Birague
À 11h30 tous les mercredis, la mère de Mohamed vient le chercher avant la fin des ateliers, "parce qu’il a mosquée". L’association, selon Gérard Haehnel, ne fait pas de différence entre les religions. "Pendant les repas-partages, on voit plus de mamans avec des foulards que sans, insiste Akila Bouchakur. On est tous égaux aux Disciples." Pour elle et les autres adhérents, l’aspect socio-culturel de l’association prime sur son indéniable coloration religieuse. À l’entrée au collège, certains commencent à fréquenter l’Aquarium, se détournant de l’association protestante.
*Source : fichier FiLoSoFi 2015 (INSEE)
**En fonction du quotient familial, pour une inscription les 36 mercredis en période scolaire et les 80 jours de petites vacances scolaires.
Claire Birague et Lola Breton
Zumba et futsal réservés aux femmes
Ankiati, la trentaine, a toujours vécu à Cronenbourg. Elle se rend tous les mardis soir à 18h30 au CSC Victor-Schoelcher, comme une dizaine de femmes, pour danser la zumba. La particularité de ce cours est d'être interdit aux hommes. Cécilia Corosine, la professeure, ne le dispense que depuis cette année, mais aimerait accueillir encore plus de participantes. Musique latino, hip-hop et électro : pendant une heure, les femmes se défoulent sur des rythmes entraînants. Dans une synchronisation encore approximative, elles enchaînent les pas de danse chorégraphiés.
Trois jours plus tard, c’est au pas de course qu’Ankiati traverse le terrain du gymnase Langevin. Avec sa fille Imen, 13 ans, elle rejoint une dizaine de filles et de femmes le vendredi à 19h pour jouer au futsal. L’activité existe depuis une dizaine d’années mais elle n’était pratiquée que par des hommes. Il y a cinq ans l’association a décidé d’ouvrir un créneau aux femmes, après celui des filles de moins de douze ans. Deux animateurs de l’association encadrent le groupe : Hyppolite sur le terrain et Arayik en tant qu’arbitre. À cinq contre cinq, les joueuses s’affrontent une heure durant dans une ambiance chaleureuse et bruyante. Un joyeux désordre où l’essentiel n’est pas la gagne.
Juliette Fumey
Lieu accessible à tous, l’Aquarium, annexe du Centre social et culturel (CSC) Victor-Schoelcher, est le point de rencontre de nombreux jeunes. Cependant, il peine à attirer certains publics, notamment les filles.
"Bouge, t’es trop nul". Dans la cafèt' au fond du couloir vient de s’achever une partie enflammée de baby-foot."Je prends la gagne", crie un nouvel arrivant aux jeunes joueurs absorbés par le match. "On vient à l’Aquarium parce qu’en ce moment il fait froid et puis on n’a rien à faire dans le quartier", raconte Chouaib, 17 ans, sans quitter la balle des yeux. L’Aquarium, une annexe du CSC Victor-Schoelcher, est implanté au cœur de la Cité nucléaire, à Cronenbourg. "Avant, il y avait un aquarium à l’entrée, ce qui a donné le surnom au lieu. Avec le temps, c’est resté", raconte Mohamed Khettab, responsable du secteur jeunes et coordinateur.
payantes : l’accès à la salle de musculation coûte 38 euros l’année ; pour la boxe, c’est 85 euros.
"Elles savent qu’il ne faut pas venir"
Ce pari d’ouverture n’est pas gagné. L’Aquarium reste majoritairement fréquenté par les garçons de la cité. "Il n’y a jamais de filles de notre âge ici, elles savent qu’il ne faut pas venir", lance Karim, 17 ans, une fois la partie de baby-foot terminée. Le coordinateur explique cette absence par la pression que subissent les filles de la part de leur famille : à partir de l’adolescence, il serait mal vu qu’elles se mélangent aux garçons. "L’image et la réputation sont très importantes dans le quartier", regrette Mohamed Khettab. "On allait à l’Aquarium avant mais à un moment c’est devenu gênant de se retrouver seules parmi les garçons", témoignent deux lycéennes à l’arrêt de bus Arago.
Assises sur les fauteuils rouges devant la télé, Elise et Aylin, âgées de 11 ans, ont les yeux rivés sur un documentaire animalier. "C’est ma grande sœur qui me disait de ne pas venir à l’Aquarium car c’est pour les garçons. Une fois, je passais à côté avec mes copines et on a vu des filles à l’intérieur. Depuis, on vient souvent ici", raconte Aylin.
Si des collégiennes fréquentent l’Aquarium, elles restent largement minoritaires. Parmi les visiteurs, en moyenne une personne sur treize serait une fille, d’après les animateurs. Le manque de mixité dans la structure se constate également au niveau du personnel. À l’exception de Zoé, embauchée en novembre et chargée du développement du pôle famille, l’équipe est intégralement masculine.
L'unique baby-foot pris d'assaut par les enfants. © Manal Fkihi
Les jeunes du quartier s'affrontent sur les deux tables de ping-pong du gymnase de l'Aquarium. © Manal Fkihi
Accoudé au comptoir, Abdelkader Khellaf, un des cinq animateurs, surveille discrètement la cafèt’. Devant lui, les fauteuils et les sièges rouge pétant disséminés un peu partout dénotent avec le décor un peu sombre de la pièce. Seuls les éclats de rire et les discussions animées des jeunes apportent de la gaieté à cet espace pauvre en couleurs. Difficile de rater la boule à facettes au milieu de la pièce et les strobes suspendus au faux-plafond. "On loue la salle 20 euros pour les anniversaires", précise Mohamed Khettab. Sur la droite, se trouve le modeste cyber-centre où seulement quatre ordinateurs sont mis à disposition des usagers. "Je viens ici pour jouer aux jeux vidéo quand j’ai pas de devoirs", raconte Abdoulah, absorbé par une partie de Fortnite.
Ça s'en va et ça revient
Au gymnase, à côté de la cafèt', des jeunes occupent les deux tables de ping-pong. D’autres s’exercent au shoot sur le panier de basket. Après une brève partie de tennis de table, deux collégiens se précipitent dehors, pour revenir à peine quelques minutes plus tard. Les va-et-vient sont incessants. L’Aquarium est un lieu ouvert et gratuit où aucune inscription n’est demandée aux jeunes qui peuvent profiter des équipements en libre accès. "Dans d’autres structures, il y a plein de jeunes qui ont besoin d’être accompagnés mais qui n’osent pas y aller à cause du cadre trop formel. Ici, on a voulu simplifier les choses pour attirer le maximum de personnes", détaille Mohamed Khettab. Certaines activités restent néanmoins
Baadra profite de la salle de danse mise à disposition par l'Aquarium pour s'exercer au popping. © Claire Birague
"On a eu une animatrice à l’Aquarium pendant cinq ans. Les filles étaient plus nombreuses à venir mais par manque de financement, on n’a pas pu renouveler son contrat, admet Mohamed Khettab. On essaye tout de même de motiver les filles à nous rejoindre en organisant des activités comme du fitness et de l’aérobic. Ponctuellement, nous recrutons également des animatrices."
Un lieu, deux univers
"Les filles vont à la danse en haut, en bas, c’est les garçons", explique un collégien en poussant la porte de la sortie. De l’extérieur, à travers la grande baie vitrée du premier étage, on peut apercevoir les danseurs et danseuses en pleine chorégraphie. "Il y a autant de filles que de garçons ici", dément Zeyneb, qui vient régulièrement avec ses amies. Dans cette salle de danse flanquée de deux larges miroirs, ni cours ni professeur : ici les jeunes s’expriment et échangent librement. Muni de son enceinte, chaque petit groupe de danseurs s’approprie un coin de la salle. Les musiques s’entremêlent, créant un brouhaha qui ne les empêche pas de se lancer dans une danse associant K-pop et popping. Ils ont fait de la salle leur petit royaume. Rares sont ceux qui vont au rez-de-chaussée, "On entre et on sort par la sortie de secours", confirme Rayan, le doigt pointé vers la porte menant à l’extérieur. Contrairement au rez-de-chaussée, les jeunes n’habitent pas que Cronenbourg. "Les danseurs viennent de partout, il y en a du centre-ville, de Lingolsheim, voire même d’Illkirch", indique-t-il entre deux pas de danse.
"Je te donne deux balles si tu le fais", glisse Karim à un collégien. "Bam, bam, bam !" Prenant au sérieux son rôle de messager, l'adolescent frappe à la porte de secours, interrompant la chorégraphie des filles. Il invite l'une des danseuses à venir voir Karim. Il retourne bredouille voir son aîné. La fille aux cheveux longs ne veut pas descendre.
Manal Fkihi et Romain Cazé