Jeudi 28 mars 2024

L’Alsace trinque au Japon

Les Vins d’Alsace ont été retenus pour participer à l’exposition universelle d’Osaka en 2025, une première pour un vignoble français. Cela représente un investissement d’au moins un million d’euros pour la filière, motivé par une coopération historique avec le Japon. Mais tous les vignerons n’en récolteront pas les fruits.

Par Pauline Beignon et Eva Pontecaille

Osaka, 2025. Les visiteurs du pavillon français de l’exposition universelle se pressent dans les 110 m2 du bistrot. Le bâtiment aux lignes futuristes est surplombé par une toiture végétalisée. À l'intérieur, des grandes entreprises se partagent l’espace et les murs sont décorés de tapisseries d’Aubusson. Au bar, on commande du vin produit à plus de 9 000 km de là. Du vin d’Alsace.

Voici le paysage que dessine la Compagnie française des expositions (Cofrex) dans les premiers communiqués sur la scénographie du pavillon. Pour la première fois, l’industrie vitivinicole française sera présente pendant les six mois de l’exposition, représentée par le Comité interprofessionnel des Vins d’Alsace (Civa). Philippe Bouvet, son directeur marketing, n’a pas assez de mots pour décrire sa « fierté » d’être aux côtés de LVMH et d’AXA, « deux gros poids lourds de l’économie française ». Les Vins d’Alsace veulent jouer dans la cour des grands.

Pour y parvenir, le Civa a dû mettre la main au porte-monnaie. Philippe Bouvet le reconnaît : « C’est un bon budget, mais aussi beaucoup de temps et d’énergie dépensée par nos équipes. » Il est inscrit comme « partenaire gold » de l’événement, soit le plus haut niveau de coopération, qui offre une présence permanente à l’exposition et lui garantit une meilleure mise en avant. Sa participation financière s’élève donc à au moins un million d’euros, comme l’exige le statut « gold ». Mais quand on demande le montant exact, le directeur marketing botte en touche : « On ne veut pas communiquer davantage sur le financement. On va surtout à l’exposition pour promouvoir une image des Vins d’Alsace. » Une somme tout de même importante pour le Civa, mais modeste compte tenu du coût total du projet. La Cofrex, entreprise publique chargée d’organiser la présence de l’Hexagone à l’exposition universelle, évalue le coût du pavillon France à 55 millions d’euros. Le montant est supporté à 70 % par l’État, les 30 % restants doivent être financés par les partenaires.

40 % d’exportations en plus sur dix ans

Pour justifier la présence des vins alsaciens, Nathalie Mercier, directrice de la communication et de la programmation du pavillon France, explique que l’exposition doit mettre en avant « le savoir-faire, les territoires, un art de vivre à la française, et c’est le cas de l’Alsace », avant d’ajouter, sibylline : « Je vous laisse imaginer ce que cela veut dire ». Mais cette participation est surtout le résultat des relations durables tissées entre l’Alsace et le Japon depuis 1863 et les premières exportations de textiles vers le pays du Soleil Levant. Une coopération qui ne s’est ensuite jamais essoufflée et qui s’est même renforcée.

Le pavillon France sera situé en face du pavillon japonais, pour mettre en avant la proximité des deux pays. © Extrait du communiqué de presse - Coldefy, Carlo Ratti Associatti et RIMOND Japan KK

Ces dix dernières années, les vins alsaciens ont déjà bénéficié de cette proximité. En 2013, la préfecture japonaise de Gifu crée une route du saké, inspirée de la Route des vins. Le Civa signe l’année suivante un accord de jumelage entre les deux routes, et encourage les ventes de vin alsacien au Japon. En 2014 toujours, deux accords sont signés : le premier entre le département du Haut-Rhin et Gifu, le second entre les villes de Colmar et Takayama. Ils permettent de « promouvoir le tourisme, les échanges culturels et économiques », explique Aurélien Anthony, directeur adjoint du Centre européen d’études japonaises d’Alsace, qui a participé à l’élaboration de ces accords. Renouvelés dans les mêmes termes en 2023, ils encouragent, entre autres, la présence d’une délégation de la préfecture de Gifu au salon international du tourisme à Colmar, en plus d’échanges de compétences autour de l’artisanat et de la gastronomie des deux régions. La première version stipulait même que les deux parties devaient défendre l’inscription de la Route des vins au patrimoine mondial de l’Unesco, prérogative qui a disparu depuis 2018.

Une aubaine pour les vins alsaciens, dont les exportations au Japon ont augmenté de 40 % depuis ces accords. Le pays se hisse aujourd’hui comme le sixième marché d’exportation pour le vin, le premier en Asie-Pacifique. « C’est une vraie caisse de résonance pour nous. Au-delà d’Osaka, notre but est ensuite de monter des dispositifs avec les cavistes, des sommeliers, des restaurateurs locaux sur l’ensemble du territoire japonais », s’enthousiasme Philippe Bouvet. Un réel enjeu pour les 180 vignerons alsaciens qui exportent déjà vers l’archipel. Parmi eux, une centaine devrait pouvoir se rendre à Osaka en 2025.

Un marché réservé aux grosses structures

Pour autant, l’empire nippon ne semble pas accessible à tous. Les Japonais sont particulièrement friands de vins issus des agricultures bio et biodynamique. Deux fois plus présente en Alsace que dans le reste de la France, leur production ne représente pourtant que 36 % de la surface viticole de la région, d’après le Civa.

Exposition universelle ou pas, le Japon reste un horizon lointain pour les petites exploitations, comme l’analyse Clémence Wagner, responsable de la communication du Syndicat des vignerons indépendants d’Alsace : « Prospecter en Asie, ça veut dire qu’il faut organiser dans l’idéal un voyage par an. Ça représente du temps et de l’argent donc c’est peut-être davantage réservé à de plus grosses structures. » Marie-Thérèse Martin, gérante d’une exploitation familiale à Wangen se contente de l’export vers des pays frontaliers. « Pour exporter plus loin que l’Allemagne ou la Belgique, il faudrait qu’on soit plus nombreux, à trois c’est impossible. »

Malgré tout, même les vignerons indépendants reconnaissent que cette exposition est une vitrine qui peut s’avérer bénéfique pour le secteur. Sylvie Blumstein, vigneronne à Châtenois, estime que « c’est toujours bon pour tout le monde. Il faut savoir mettre quelques vignobles en avant pour que les autres profitent de leur rayonnement ».