Mésanges et amandiers gardent
les vignes de Bergheim
Les vignes occupent l’essentiel des cultures au pied des Vosges. Pour endiguer les risques liés à cette monoculture, avec l’aide de la Ligue de protection des oiseaux et d’un réseau d’agriculteurs biologiques, une vigneronne du Haut-Rhin a littéralement redonné vie à ses parcelles.
Par Zoé Dert-Chopin
Le soleil pointe à peine son nez derrière les ballons vosgiens que Sylvie Spielmann scrute déjà les boutons de ses vignes et de sa centaine d’arbres fruitiers. Sur les hauteurs de Bergheim, à la lisière entre le Haut et le Bas-Rhin, le vignoble se révèle à la lumière en ce jour de mars. Contrairement à une décennie en arrière, le paysage n’est pas uniforme. De jeunes arbres et des haies se distinguent des rangées de vignes infinies. Les chants d’une dizaine espèces d’oiseaux complètent le panorama.
Mais Bergheim, et quelques rares autres communes, font figure d’exception. Dans le vignoble, la dépendance à la culture exclusive de la vigne reste encore légion. Pourtant, cette dépendance augmente les risques de pertes agricoles en cas de bouleversements météorologiques et de développement de maladies — telles le mildiou ou la flavescence dorée qui fait son grand retour dans la région. Pour contrer ces risques, l'Association des viticulteurs d'Alsace (AVA), syndicat majoritaire de la profession, est récemment parvenue à faire abroger l’interdiction d’irriguer les vignes, et la communauté de vignerons continue d’utiliser des pesticides tels que le Profiler ou l’Enervin. Or, les effets néfastes de ces produits sur l'environnement et la santé des populations exposées sont largement documentés.
Plutôt que l’usage de produits phytosanitaires et la mécanisation, chercheurs et associations de protection de l’environnement encouragent des techniques qui favorisent la biodiversité, comme le recours à la polyculture et la diversification des paysages sur les exploitations. « En Alsace on a déjà une tendance à l’enherbement des vignes, y compris en conventionnel, qui a amélioré grandement les choses quel que soit le type de viticulture », observe Eric Brunissen, chargé de mission à la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
« Plus on a d’oiseaux, plus ils mangent des prédateurs »
En 2021, l’organisation de professionnels agricoles Bio du Grand Est a choisi de lancer le programme VinBiodiv’. Il a pris fin mi-2023. « C’était une envie d’un certain nombre de viticulteurs d’améliorer leur agro-écosystème au niveau parcellaire », révèle Eric Brunissen. La LPO Alsace a été chargée d’accompagner les exploitants volontaires. La vigneronne en bio Sylvie Spielmann, patronne du domaine éponyme, comptait parmi les participants à VinBiodiv’. « Avec la LPO, on a installé des nichoirs à mésange dans les buissons. Cet oiseau mange le ver à grappe, un ravageur. Plus on a d’oiseaux, plus ils mangent des prédateurs. »
Entretenir la faune et la flore autochtones est un moyen écologique de garantir une productivité suffisante et prévenir des maladies et des ravageurs. « C’était déjà comme ça avant. C’est dans les années 1970-80 qu’on a voulu absolument tout rentabiliser, tout mécaniser. Dans le vignoble comme ailleurs, c’était le rendement avant tout », se remémore Sylvie Spielmann. Un paysage du passé plus biodiversifié auquel elle fait référence dans le nom de l’un de ses vins : pfärsigbaum, « pêcher » en alsacien. « On retrouvait régulièrement ce fruitier qui apportait ombrage et humidité, bienvenues pendant les temps de sécheresse. »
« Juste des vignes, c’est le désert ! », déplore la vigneronne de 58 ans, le regard fièrement posé sur ses parcelles. Si Sylvie ne se lasse jamais du paysage qui l’entoure depuis sa naissance, elle voit en ces pratiques favorisant la biodiversité un moyen de perpétuer la logique de l’agriculture biologique. Dès 2003, soit quatre ans après la conversion de ses parcelles en bio, elle plantait ses premiers amandiers et pêchers. Depuis, elle dit avoir planté « une centaine de grands arbres, et autant de fruitiers ». A terme, la vigneronne aspire à vendre également des fruits et ainsi diversifier son commerce, en plus des paysages qui l’entourent.
Du temps de travail supplémentaire
Alors pourquoi ces pratiques demeurent-elles si peu répandues malgré ses effets positifs sur l’environnement, la santé et l’économie des vignerons ? « Élaguer, tailler, arroser… C’est du temps de travail en plus et qui n’est pas payé », reconnaît Sylvie Spielmann.
Si historiquement, les vignerons alsaciens ont la particularité d’avoir des vergers aux abords de leurs parcelles, leur disposition et leur exploitation ne sont pas réfléchies en cohérence avec la culture de la vigne. « Si j’avais les moyens, bien sûr que je diversifierais mes cultures », regrette de son côté Francis Fischer, vigneron en conventionnel et président du syndicat viticole de Ribeauvillé, à quelques encablures de Bergheim.
Pour son homologue à Bergheim, Mathieu Deiss, du domaine Marcel Deiss, l’agroforesterie est une évidence depuis les années 1990. « Peu à peu nous avons complété ce travail de biodiversité par la gestion biologique des sols, la biodynamie, les semis sous couvert, l’agroforesterie, le souci des abeilles et des oiseaux », affiche-t-il sur le site web de son domaine. Si ces changements de pratique gagnent du terrain, ils restent encore l’apanage des exploitations en agriculture biologique. Or, ces dernières ne représentent que 36 % de l’ensemble du vignoble. La route vers un vignoble biodiversifié est encore longue.