Jeudi 28 mars 2024

Médailles en toc ?

Pour la deuxième année consécutive, un Alsacien a remporté le prix du meilleur vin blanc du monde, lors du mondial qui s'est tenu à Strasbourg. Mais avec 126 concours vinicoles français, de nombreux prix décernés et des règlements pas toujours très clairs, quel sérieux accorder à ces récompenses ?

Par Manon Boudsocq

L’ambiance est solennelle. Jonglant entre français et anglais, les juges, concentrés, discutent presque à voix basse. Soudain, des applaudissements retentissent. Les sept juges de la table numéro 7 viennent d’attribuer à l’une des bouteilles dégustées une médaille « Grand or », la plus haute distinction du Mondial des vins blancs. Cette édition qui a eu lieu les 17 et 18 mars 2024 à Strasbourg, a été particulièrement fructueuse pour la région alsacienne : parmi les 28 médaillés « Grand or », seize sont des vins français, dont quinze alsaciens !  

Chaque année depuis 1998, environ 70 juges se réunissent à Strasbourg lors de ce concours pour goûter plus de 600 vins blancs venant du monde entier. C’est à huis clos dans le hall du Parc des Expositions, en marge d'un salon dédié aux métiers de bouche, que sont attablés les 74 professionnels de 26 nations différentes, répartis sur dix tables. Car même si la loi impose qu'au moins deux tiers des dégustateurs soient compétents, ici pas de place aux amateurs.

Au contraire. Entre Serge Dubs, meilleur Sommelier du monde 1989, Bernard Burtschy, journaliste expert à la Revue du vin de France et au Figaro, Monika Christmann, présidente d’honneur de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) ou encore Joseph Valihrach Jr., triple champion du monde du Chardonnay et conseiller auprès du ministre de l’Agriculture de la République tchèque, les jurés sont sélectionnés pour leurs compétences et leur réputation dans le milieu de l'œnologie. « Je les connais tous, je les recrute directement chez eux ou je les repère dans d’autres concours », explique Christine Collins-Lung, organisatrice du Mondial des vins blancs.

Concours vinicole oblige, le règlement se veut strict. Les bouteilles sont toutes recouvertes d’un opaque plastique noir. Impossible pour les juges de savoir quel vin ils s'apprêtent à goûter. Le but : s’assurer de leur impartialité. Seuls le cépage et la sucrosité du vin sont connus, puis plus tard, le pays d’origine. Si pour les vins venus d’Andorre ou de la République tchèque le mystère reste souvent total, pour les vins français, il est la plupart du temps de courte durée, comme l’explique le journaliste Bernard Burtschy : « J’arrive à reconnaître les vins, je sais qu’ils viennent d’Alsace ou de Bordeaux, parfois, j’arrive même à reconnaître le domaine. »

Tous les vins doivent être anonymisés afin de garantir l’impartialité des juges experts. © Manon Boudsocq

Des concours qui ne convainquent pas les cavistes

Après deux matinées de dégustation, le « meilleur vin blanc du monde » est dévoilé. Cette année, comme l’an passé, c’est un vin blanc venu d’Alsace qui est élu. Un Gewürtzraminer « Vendanges tardives » de la maison Ruhlmann-Schutz. Une fierté pour Xavier Muller, gagnant 2023, qui rêvait de remettre le trophée à un confrère alsacien. Pour lui, c’est une reconnaissance importante : « Ces concours ont énormément d’impact, car ils sont reconnus dans le monde entier » et permettent donc aux vins alsaciens de s’exporter. « L’année dernière, un journaliste grec qui était au concours a goûté mon Sylvaner [qui a remporté le prix du meilleur vin blanc], il était bluffé. Jamais il n’aurait cru que c’était un vin alsacien. »

Mais alors, est-ce la preuve que les vins alsaciens sont en train de devenir des vins d’excellence ? Pas sûr. Sur les 650 vins concourants, 40 % d’entre eux sont alsaciens. Ceux qui jouent à domicile sont donc un poil avantagés. Mais pour Christine Collins-Lung « tout organisateur a forcément les échantillons des vignerons de sa région, c’est presque obligatoire. » Pour Xavier Muller, cette proportion n’est d’ailleurs pas étonnante. « L’Alsace est connue pour être la région des vins blancs » avec six cépages blancs sur les sept alsaciens.

Cet intérêt des vignerons alsaciens pour les concours et médailles laisse les cavistes circonspects. « Le vin élu meilleur blanc du monde l’est parmi une sélection ! Il existe toute une catégorie de vins qui ne sont pas représentés, y compris de très bons vins. Une médaille n’est pas un gage de qualité », réagit un caviste strasbourgeois. Parmi les grands absents de ce concours censé pourtant élire les meilleurs vins : les vins haut de gamme. Selon Michel Bernard, président de l’Association des Grands Concours Vinicoles Français, l’explication est toute trouvée. « Ces vins-là ont plus à perdre qu'à gagner. Ils ont déjà une renommée qui leur suffit, alors que s’ils participent et ne gagnent pas, leur image en prendrait un coup. » Mais c’est surtout que les médailles et concours sont un atout marketing important pour les vins de moyenne gamme. 

Dans les caves, les vins médaillés sont aux abonnés absents. Les cavistes se basent sur d’autres critères et proposent, pour la plupart, des vins qui ne participent pas aux concours. © Mina Peltier

Car rien de mieux qu’une médaille pour se démarquer en grande surface. Mais avec 126 concours locaux et nationaux répertoriés par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), beaucoup s’accordent à le dire, « c’est trop ». Il y a donc un enjeu à montrer des gages de sérieux. Si on retrouve souvent les mêmes récompenses comme celles délivrées lors des concours de Colmar, de Lyon, de Paris ou les Vinalies, des compétitions internationales et étrangères, moins réglementées, font aussi leur apparition dans nos rayons. Une en particulier : Gilbert et Gaillard. Ses médailles ont été mises en cause au cours d'un reportage réalisé par Complément d’enquête, diffusé en décembre 2023. Basé à Hong Kong, le jury avait alors attribué des prix à des vins bas de gamme. 

Un atout marketing pas toujours très clair  

Les vins qui concourent sont minutieusement choisis pour entrer dans la norme et maximiser leurs chances de gagner. Cette année, ils sont 194 a avoir été récompensé. © Manon Boudsocq

Les vignerons le savent, toutes les médailles ne se valent pas. Ainsi pour Olivier Kreutzberger, œnologue pour la cave de Cleebourg : « Si on gagne une médaille de bronze, on ne la met pas parce que ça aurait l’effet inverse », l’acheteur se disant que le vin n’a pas été assez bon pour remporter l’or. Logique similaire pour Xavier Muller. « Les médailles d’argent ne sont pas affichées sur mes bouteilles, parce que j’ai déjà gagné de l’or. » D’autres n’affichent tout simplement pas leur médaille, surtout quand ces vins sont destinés aux caves qui n’ont pas besoin de cet atout marketing.

Alors pour les concours, exit les médailles de bronze qui n’intéressent plus les vignerons. À la place, une astuce a été trouvée : le « Grand Or », qui remplace en réalité l’or. Pour gagner ce prix, qui était encore interdit il y a 3 ans, il faut avoir plus de 93 points. Avec ce système, le bronze devient donc l’argent avec des notes au-dessus de 85 et l’argent revêt une parure dorée lorsqu'un vin obtient entre 89 et 93 points. Une pratique trompeuse pour le consommateur qui, en achetant un vin médaillé or, pense acheter ce qu’il y a de meilleur.

Pour les organisateurs de concours, l’enjeu est d’abord marketing : il faut continuer d’attirer des candidats en délivrant le plus de médailles d’or possible. Mais aussi économique : les participants payent jusqu’à 110 euros par vin présenté au Mondial des vins blancs, ce à quoi s’ajoute l’achat des autocollants en forme des médailles en cas de victoire… Un investissement rentable ? Selon le journaliste spécialisé Bernard Burtschy, une médaille accolée permet d’augmenter les ventes d’environ 25 %.