Grand péril pour les petites exploitations
Par Alexia Lamblé et Adélie Aubaret
Depuis plusieurs années, l’Alsace voit le nombre de ses exploitations viticoles diminuer. Si elles étaient 4 803 en 2009, elles n’étaient plus que 3 734 en 2019. Le nombre d'hectares de vignes en production n’a cependant pas sensiblement changé durant cette période. Les exploitations sont donc moins nombreuses mais cultivent autant de vignes qu’avant. D’après le ministère de l’Agriculture, il y avait 4 769 micro-entreprises agricoles en Alsace en 2010, contre seulement 2 742 en 2020. Au contraire, le nombre de grandes exploitations a augmenté, passant de 1 553 à 1 647 sur la même période.
Un constat qui n’est pas propre à l’Alsace. En France, le nombre de viticulteurs a baissé de 16 % en dix ans selon le ministère de l’Agriculture.
D’après Frédéric Schwaenzler, conseiller de la Chambre d'agriculture d'Alsace, cette situation s’explique d’abord par un manque de rentabilité chez les petits exploitants : « Les coûts de production augmentent : l’énergie, le prix des tracteurs, les contraintes environnementales. Mais le prix du vin, lui, ne change pas. Il faut donc toujours plus d’hectares pour être rentable. »
Pour lui, les grosses structures bénéficient également d’un avantage certain : l’exportation. « C’est plus compliqué pour les petites structures qui attendent leur clients devant leur caveau. »
En plus du manque de rentabilité, les petites exploitations disparaissent aussi faute de repreneurs. Les gros producteurs profitent donc de la situation et les rachètent. Une situation que déplore Albert Seltz, le propriétaire d’un domaine d’une dizaine d’hectares à Mittelbergheim. « C’est inquiétant, parce que ça montre qu’on arrive plus à vivre de notre travail et à le transmettre à nos enfants. Mais ça peut aussi permettre au secteur d’être mieux organisé. » Il regrette également que ces grandes structures reflètent une mauvaise image du vin alsacien : « Il y a beaucoup de grands producteurs de raisins qui font de la qualité moyenne alors que les petits producteurs sont capables d’attirer les connaisseurs. »
Ce phénomène se ressent aussi au sein des caves coopératives. Elles étaient encore quatorze en 2011, elles ne sont aujourd’hui plus que huit. Ce chiffre pourrait encore diminuer dans les mois à venir avec la fusion envisagée des deux gros mastodontes du secteur : Bestheim et Wolfberger. Ces dernières justifient ce projet dans un communiqué par « une volonté de développer l'attractivité des vins et des territoires d’Alsace » et « d’accompagner leurs vignerons adhérents dans la pérennité et la modernisation de leur activité viticole ».
Le vin blanc plébiscité
Le vin mis en bouteille en Alsace est majoritairement blanc. Le climat joue un rôle important dans cette situation. Les hivers alsaciens sont trop rudes et les étés trop courts pour permettre à la majorité des cépages de vins rouges d’arriver à maturité. Les producteurs de vins alsaciens font également un choix économique quand ils décident des cépages qu’ils produisent. « Le cépage de rouge qui existe en Alsace ne supporte pas les gros rendements. Le raisin rouge produit 35 hl à l'hectare alors qu’on monte nettement plus haut pour les blancs », explique Isabelle Bachelard, journaliste dégustatrice.
L’Alsace a pourtant produit du vin rouge par le passé. Dans son ouvrage Entre Vosges et Forêt-Noire : Pouvoir, terroir et villes de l’Oberrhein. 1250-1350, l'historienne Odile Kammerer écrit : « Le vin rouge était sans doute prédominant, d’après Karl Müller, sur la rive droite du Rhin mais il connaissait aussi une grande extension en Alsace. [...] D’après Lucien Ehret, les coteaux de Guebwiller auraient été plantés exclusivement de vin rouge, même si les villages tout proches connaissaient et fabriquaient le blanc depuis le XIIIe siècle. Lequel passait pour meilleur (melior) et figurait au titre des vins nobles (nobilis, edel). »
Au XVIIe siècle, le Pinot noir est réputé en Alsace mais son rendement est faible. Peu à peu, la production de vin rouge diminue. D’après Caroline Claude-Bronner, guide conférencière, le Pinot noir ne représentait en 1969 plus que 2 % de la production alsacienne. C’est à cette époque qu’il devient le seul cépage rouge alsacien à obtenir une Appellation d’origine protégé (AOC). S’il détient encore ce label, ce dernier ne garantit pas sa qualité gustative mais seulement que sa production a été réalisée en Alsace selon un savoir-faire reconnu. Aujourd’hui, le Pinot noir représente environ 10 % de la production alsacienne de vin.