Élection des reines des vins :
le sexisme reste roi ?
Chaque année à la Foire de Colmar, trois jeunes femmes sont élues pour promouvoir les vins alsaciens. Née au siècle dernier, cette tradition offre une visibilité exceptionnelle à ce trio bénévole, bien loin des réalités vécues par les professionnelles du vignoble alsacien.
Par Océane Caillat
Hissées sur leurs talons, toutes trois ont tenu à accorder leurs longues robes d’un bleu nuit, symbole de leur cohésion pour l’ouverture de la 74e édition de la Foire aux vins de Colmar. Ce 28 juillet 2023, Agathe Prunier, Marie-Elisa Wessang et Lisa Grollemund sont intronisées reines des vins d’Alsace. « Sur la scène où étaient présentes plusieurs confréries viniques, l’ancien trio royal nous a remis les couronnes pour officialiser notre prise de fonction », se remémore Lisa Grollemund, dauphine du concours. Jusqu’au mois de juillet prochain, celle-ci assure en compagnie de ses deux comparses la promotion du vignoble alsacien.
Mais le maintien de cette tradition unique en France et créée en 1954 pose question. Dans une société où l’égalité entre femmes et hommes est devenue à la fois une demande sociale et une priorité politique, elle devient difficile à justifier. Comment pourrait-elle se maintenir alors que les efforts pour débarrasser le milieu professionnel du vin du sexisme ambiant se multiplient ?
Lisa Grollemund insiste sur les mutations qu’a déjà connu le concours des reines des vins d’Alsace. « Initialement, il n’y avait pas de connaissances techniques du vin exigées. La plupart des candidates étaient des filles de vignerons, élues plutôt sur des critères physiques, à l’applaudimètre », explique-t-elle. Auparavant élues en public, la reine et ses deux dauphines sont désormais choisies à l’abri des regards, selon des critères incluant la connaissance du vignoble, l’éloquence, l’investissement professionnel ou personnel dans le domaine des vins d’Alsace, ou encore la présence sur les réseaux sociaux.
L’indication « être une jeune femme pétillante (comme le crémant d’Alsace) » – encore mentionnée sur l’appel à candidatures de 2011 – a disparu, et le physique n’est plus un critère. « Ce n’est pas un concours de beauté, elles sont compétentes », insiste Aurélie Schneider, la présidente du comité des Reines des vins d’Alsace. Quand on insiste sur l'intérêt de ce concours réservé aux jeunes femmes entre 18 et 28 ans, le comité défend « une tradition qui permet de représenter le vin alsacien ».
Un règne bénévole
Une fois élues, les trois jeunes femmes doivent honorer les multiples invitations aux événements viticoles organisés en France, en Allemagne et en Suisse. Un rythme effréné pouvant atteindre trois à quatre événements par semaine qui s’ajoutent à leur travail ou leurs études, auquel le trio se plie bénévolement, seuls leurs déplacements étant indemnisés. Diplômée d’un BTS viticulture-oenologie et d’une licence professionnelle en commerce de vins et spiritueux, Lisa Grollemund dit y trouver son compte, motivée par « le partage, les rencontres et l’idée de promouvoir le vignoble alsacien ».
Certes élu pour leurs connaissances viticoles, le trio n’échappe pas aux diktats de féminité et d’élégance imposés aux femmes comme en témoignent les photos disponibles sur la page Facebook du concours. En plus du port de la couronne et de l’écharpe caractéristiques des élections de miss, les robes et talons font partie du dress code lors des déplacements. Mais quand nous demandons à lire le règlement pour vérifier les exigences vestimentaires imposées, l’accès au document nous est refusé par le comité.
Pour la vigneronne Isabelle Perraud, créatrice du compte Instagram et de l’association Paye ton pinard, qui dénonce le sexisme dans le monde du vin, cette tradition n’a « presque rien d’étonnant ». « Quand on veut faire la promotion d’une appellation, on utilise une femme un peu comme une miss France, comme une représentation. Sur un salon, il n’y a pas de scrupule à utiliser les femmes pour vendre », analyse-t-elle. Alors même que dans les rôles décisionnaires, elles sont aux abonnées absentes, regrette-t-elle. En France en 2021, elles ne représentent que 12 % des chefs d’exploitations viticoles, selon les données de la Mutualité sociale agricole.
« C’est vieux, c’est plus que folklorique »
Du côté de ces rares cheffes d'exploitation, dans le vignoble alsacien, on observe donc avec incrédulité se maintenir la tradition des reines des vins. « C’est vieux, c’est un truc qui me dépasse, c’est plus que folklorique », réagit Sylvie Spielmann, vigneronne de 58 ans. Gérante d’un domaine à Bergheim, sa carrière est empreinte de moments de lutte contre le sexisme ambiant, et de compromis. « La plus grosse difficulté a été de diriger des employés masculins qui ne cessent de tout remettre en question. Les gens ne sont pas autant à l’écoute que quand c’est un homme qui leur parle », relate-t-elle.
Par petites touches, la condition des femmes dans le vignoble progresse. À la tête d’un vignoble à Dahlenheim, Mélanie Pfister préfère ne pas commenter l’élection des reines « Je vais dire joker », botte-t-elle en touche. En 2011, elle a créé l’association Les diVINes d’Alsace pour rassembler et rendre visibles les femmes qui travaillent dans le vignoble alsacien. Elles sont aujourd’hui une soixantaine à y adhérer.