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Portabilité des contenus en ligne : première étape vers le marché unique du numérique


18 mai 2017

A partir de 2018, les consommateurs européens en voyage dans les autres pays de l’Union pourront profiter de leurs abonnements audiovisuels numériques. Un règlement a été adopté en ce sens jeudi 18 mai par le Parlement européen.

Qui s’imaginerait les pages d’un livre s’effacer en traversant une frontière ? Ou le contenu d’un DVD devenir illisible dans un autre pays ? Personne. Cela ressemble pourtant à ce qui arrive aujourd’hui quand un abonné à "Netflix", la plateforme américaine de films en ligne, souhaite reprendre sa série alors qu’il est en vacances dans un autre pays de l’Union européenne. Ou lorsqu’un salarié en déplacement dans un Etat membre désire regarder le match de son équipe de foot préférée sur "CanalPlay".

20170518-FC img_6630.jpgA l’heure du marché unique, ces situations frustrantes pour les 23 millions de consommateurs européens potentiellement concernés, seront révolues dès le 1er janvier 2018. Le Parlement européen a adopté jeudi 18 mai un règlement visant à assurer la portabilité des contenus en ligne. Il entend adapter les abonnements numériques à la mobilité des européens, en leur permettant d’accéder aux services auxquels ils ont souscrit, dans n’importe quel pays membre. La réforme s’appliquera obligatoirement pour les services payants, de type "Netflix", mais restera optionnelle pour les fournisseurs à titre gratuit, comme "FranceTv Pluzz".

 

La temporalité au coeur des débats

 

La portabilité est prévue uniquement pour les séjours temporaires. Pas question d’autoriser un Allemand à s’abonner à "Netflix" en France pour le regarder exclusivement depuis l’Allemagne. Cela remettrait en cause le principe de territorialité des droits d’auteurs, pierre angulaire du système de financement de l’audiovisuel dans de nombreux pays. Pour autant, les parlementaires ont refusé d’établir un nombre maximum de jours passés à l’étranger. Ils ont opté pour la mise en place de systèmes de contrôles limitant l’accès aux contenus dans le temps. Les fournisseurs de service pourront vérifier le pays de résidence grâce à l’adresse IP du consommateur, ses moyens de paiement ou son abonnement internet.

« Il s’agit d’un règlement équilibré entre préservation des droits d’auteurs et des droits des consommateurs », explique l’eurodéputé français Jean-Marie Cavada (ALDE, libéraux), rapporteur du texte. De son côté Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, salue « un pas important » vers la création d’un marché unique du numérique. Pour Agustin Reyna, du Bureau européen des consommateurs c’est « une très bonne nouvelle ». Une position partagée par Diego Naranjo de l’European Digital Rights (une association de défense des droits et des libertés sur Internet). Mais certains craignent que la portabilité temporaire des contenus soit une première brèche vers la remise en cause de la territorialité des droits d’auteur.

Concurrencer Google et Youtube

Depuis 2014, la Commission européenne travaille sur une réforme du droit d’auteur à l’ère du numérique. Elle devrait être discutée à l’automne 2017 au Parlement. L’un des objectifs de cette réforme est de mettre fin au "géoblocage", c’est-à-dire la géolocalisation des programmes en fonction des droits de diffusion. Il s’agit de faciliter l'accès dans les 28 Etats membres des films et musiques produits ou acquis dans un seul pays membre. « ​Les films originaires d’un Etat de l’Union ne sont disponibles que dans 2 ou 3 autres pays du marché unique. La levée des barrières territoriales permettrait de mieux diffuser les oeuvres et d’augmenter le nombre de spectateurs. Sans une ouverture du droit d’auteur, les consommateurs se tournent vers la vidéo illégale », détaille l'eurodéputée allemande Julia Reda, seule représentante du Parti pirate au Parlement européen. De son côté, Grégoire Polad, directeur général de l’Association of Commercial Television in Europe estime que « le marché unique du numérique revient à pouvoir accéder à davantage de chaînes mais à moins de contenu » et craint un appauvrissement de la création européenne. En effet, pour le secteur, une telle réforme est incompatible avec le respect du droit d’auteur et détruirait le système actuel de financement des oeuvres audiovisuelles.

Pour l’eurodéputé roumain Victor Negrescu (S&D, socio-démocrate), une réflexion sur l’émergence de géants européens du Net est la grande absente de la réforme. « Cette législation se contente d’aller à l’encontre des intérêts de Google et Youtube. La Commission introduit uniquement des pénalités pour les entreprises du numérique, sans promouvoir ce qui existe déjà en l’Europe. »

texte : François Camps et Marine Ernoult

photos : pierre-olivier chaput

 

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