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La régulation du transport routier divise les européens


18 mai 2017

Dumping social, temps de travail, cabotage… Le projet de législation européenne sur le transport routier, débattu mercredi 17 mai à Strasbourg, a suscité une levée de bouclier aussi bien du côté des syndicats que des eurodéputés.

Routiers de tous les pays, unissez-vous ! Mercredi 17 mai, une cinquantaine d'entre eux, venus principalement de France, mais également de Pologne et de Roumanie, manifeste devant le Parlement européen à Strasbourg. « On est tous ensemble contre les entreprises qui pratiquent le dumping social. La Commission européenne veut chipoter avec le temps de conduite et le temps de repos », lance Cristina Tilling, secrétaire politique de la Fédération européenne des travailleurs du transport (ETF).

Ce jour-là, l'exécutif européen présente au Parlement un rapport d'initiative sur le « Paquet Mobilités », dont la version finale sera dévoilée à la fin du mois. Pour certains élus de gauche, sa teneur est déjà claire. « On attendait de la Commission des mesures de protection, on a en fait une forte libéralisation », dénonce l’eurodéputée française Christine Revault d'Allonnes-Bonnefoy (S&D, socio-démocrate), membre de la commission parlementaire en charge du transport.

Harmoniser les droits sociaux

Ce débat intervient dans un contexte très tendu autour de la libéralisation du transport. Des pays de l'Est, comme la Pologne et la Lituanie, veulent maintenir la compétitivité de leurs chauffeurs face à leurs collègues d’Europe de l’Ouest, qui dénoncent eux une concurrence déloyale. Deux mesures sont au centre des controverses : le cabotage et l'application de la directive sur les travailleurs détachés.

Le cabotage définit le nombre de trajets que peut effectuer un routier dans un autre pays de l’Union européenne. Selon la législation actuelle, seules trois opérations de cabotage sont tolérées dans un délai de sept jours suivant une livraison. Plus le nombre d’opérations est important, plus les chauffeurs aux salaires compétitifs menacent les routiers locaux. La directive européenne sur les travailleurs détachés définit, elle, le nombre de jours de travail autorisés par mois à l'étranger. Pour les routiers, celui-ci est actuellement de sept jours maximum. La Pologne milite pour un décloisonnement de ce plafond.

Les 60 syndicats membres de l'ETF veulent croire qu’une union est possible sur la question des droits sociaux. « Les chauffeurs roumains et polonais ne veulent plus travailler sans limite pour 250 euros par mois. Beaucoup évoquent des situations qui se rapprochent de l'esclavage moderne », affirme Cristina Tilling. Le faible taux de syndicalisation des routiers d’Europe de l’Est rend toutefois difficile l’émergence d’une action collective à l'échelle européenne.

Divisions parlementaires

Si les réformes de la Commission inquiètent les syndicats, elles ne suscitent pas non plus l’enthousiasme parmi les eurodéputés.

À l’Ouest et au Nord, on insiste sur les effets délétères des propositions de la Commission dans un secteur des transports déjà mal en point. Les députés belges Hugues Bayet (S&D, socio-démocrate) et Claude Rolin (PPE, conservateur) rappellent que leur pays vient d’être touché par un scandale de grande ampleur autour des conditions salariales des 1100 employés de Jost Group, l’un des principaux transporteurs du pays. Tous ont la même cible : le dumping social, ou contournement des minimaux sociaux nationaux. « Le dumping social est le poison du projet européen. À travail égal, salaire égal », tranche la députée française Karima Delli (Verts), présidente de la commission Transports et Tourisme.

La Commission semble pourtant prête aujourd’hui à libéraliser le cabotage. Son but ? « Rendre les règles applicables », c’est-à-dire les rendre plus souples pour limiter le nombre d’infractions. De nouveaux outils numériques pourraient forcer les employeurs à respecter la loi : le tachymètre (instrument de mesure permettant de déterminer la vitesse de déplacement d'un objet en mouvement) intelligent, par exemple, sera rendu obligatoire sur les camions neufs en 2019, mais généralisé seulement en 2034… Pour certains, la création d’une agence européenne du transport permettrait d’harmoniser les contrôles.

Les partisans du cabotage utilisent parfois des arguments surprenants. « Nous avons beaucoup de poids lourds qui circulent à vide sur les routes européennes, un quart des camions environ », avance le tchèque Petr Mach (EFDD, souverainiste), qui soutient la libéralisation. Selon lui, il faut remplir ces camions pour réduire le nombre de véhicules en circulation et limiter les émissions de CO2. « C’est un peu grossier comme prétexte », s’agace Catherine Revault d'Allonnes-Bonnefoy.

Pour les députés est-européens, les questions sociales et écologiques sont secondaires. Ils privilégient l’économie, et notamment la lutte contre les « mesures protectionnistes » mises en place par certains pays de l’Ouest (France et Allemagne notamment). Les élus des États membres les plus récents dénoncent l’inaction de la Commission qui, pourtant, semble aller dans leur sens : fin avril, elle a ouvert une procédure contre l’Autriche, accusée d'enfreindre les règles du marché commun avec sa nouvelle loi sur le salaire minimum.  

Députés comme routiers convergent cependant sur un point : la future législation européenne sur le transport routier aura un impact majeur sur le secteur. À la Commission, maintenant, de choisir la bonne route.

Romain Colas et Kévin Brancaleoni

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Salaire annuel des chauffeurs routiers au sein de l'Union européenne. Source Comité National Routier.

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