À Wolfisheim et Eckbolsheim, les petites associations peinent à se lancer et à faire vivre leurs projets. Entre malaise et incompréhension réciproque, les relations entre élus et bénévoles se crispent au prix d’un affaiblissement du tissu associatif local.
Les boîtes de toutes les couleurs tapissent les murs, du sol au plafond. C’est dans une pièce de sa petite maison à colombages, au cœur de Wolfisheim, que Laetitia Schott conserve les centaines de jeux de société, achetés au fil des ans sur ses propres deniers, pour son association. Créée il y a quatre ans avec son mari Laurent, Ludi Wolfi s’est donné un objectif : tisser du lien social grâce au jeu, dans cette commune de 4 000 habitants. Avec le temps, la maison du couple est devenue un repaire où les familles viennent emprunter jeux de société et jeux vidéo. Le duo a même lancé son propre festival, Wolfi Folies, en 2022, qui a accueilli près d’un millier de participants l’année dernière.
Mais pour cette petite structure, les débuts ont été difficiles : “On ne nous a pas déroulé le tapis rouge. Au départ, nous n’avions pas de subventions de la mairie, car elle ne croyait pas en nous. Pour eux, on allait se contenter de jouer au Scrabble”, lâche Laetitia. Sans soutien financier, ni accompagnement, Laetitia et Laurent se sont appuyés sur la solidarité locale : “On échange avec les autres associations de jeu, on travaille ensemble. C’est précieux.”

Laetitia Schott, fondatrice de l'association Ludi Wolfi, stocke 650 jeux dans une pièce de sa maison. © Lilou Marjolet
“On n’a pas été très bien reçus”
À Eckbolsheim comme à Wolfisheim, les personnes qui souhaitent faire émerger de nouvelles initiatives associatives évoquent des tensions avec des élus. Par peur de perdre leur local ou leurs subventions, certaines souhaitent témoigner de façon anonyme. Comme cette responsable d’Eckbolsheim qui confie : “On n’a pas été très bien reçus. Ils [la mairie] nous écoutaient d’une oreille en disant que ça ne marcherait pas.” Là encore, elle s’est tournée vers les habitants du quartier pour mener son projet à bien : “On est allé jusqu’au bout et ça a été un franc succès. Ce manque de soutien a provoqué une grande solidarité.”
Vice-présidente de la chorale d’Eckbolsheim, Sabine Breton-Savio, évoque aussi le désintérêt de la municipalité : “La moindre des choses serait de venir nous écouter. On ne les sent pas derrière nous. Ils ne nous soutiennent pas, ils ne dynamisent rien. Ils ne vont pas nous aider.”
Du côté du théâtre de Wolfisheim, Christa Wolff, directrice du Thenso, a dû déménager costumes, panneaux de bois et tout le matériel essentiel à sa troupe, chez elle, dans sa “Maison théâtre”. Cette relocalisation fait suite à la fermeture du fort Kléber, actée à contrecœur par la commune en 2024, sur injonction de la préfecture. Elle dénonce : “Il n’y a pas de fierté, pas de volonté de la commune d’avoir une vie culturelle jaillissante.”
“À Wolfisheim, tout s’arrête à Wolfi Jazz”
Céline Hadj, conseillère municipale et tête de la liste d’opposition Wolfisheim dynamique et citoyenne pour les municipales de 2026, regrette elle aussi le départ d’associations suite à la fermeture du fort. “À Wolfisheim, tout s’arrête à Wolfi Jazz”, poursuit-elle. Sous le couvert de l’anonymat, un responsable associatif abonde : “Wolfi Jazz, c’est le bébé de la municipalité. Il n’y a plus de place dans le berceau pour le reste de la culture.”
© Olivo Bagarry, Gabby Fabresse et Lilou Marjolet
© Olivo Bagarry, Gabby Fabresse et Lilou Marjolet
Le festival, au rayonnement national, concentre à lui seul 57 % des subventions accordées aux associations par la commune en 2024. Malgré une baisse de fréquentation lors des deux dernières éditions, la municipalité soutient cet événement devenu incontournable. Son organisatrice, Marie-Laure Lamotte, adjointe au maire chargée de la culture à Wolfisheim, se défend toutefois d’un quelconque déséquilibre : “Ici, personne ne manque de subventions. On subventionne toutes les associations en fonction de leurs actions et de leur nombre de jeunes adhérents. Wolfi Jazz et le reste, ce n’est pas la même envergure. Le budget d’une commune, c’est comme le budget d’une famille, il faut saupoudrer partout.”
Une répartition des subventions qui interroge
Les communes disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou reconduire une subvention. Elles ne sont donc tenues à aucune obligation de soutien. Elles attribuent librement, une fois par an, les aides aux structures de leur choix. À Eckbolsheim, il faut adhérer à l’Office municipal des sports, des arts, des loisirs et de la culture (Omsalc) pour y prétendre – à condition d’exister depuis au moins deux ans et de participer chaque année à un événement communal. Les 30 associations membres se partagent ainsi une enveloppe de 64 000 euros.
François Jouan, tête de liste d’opposition Un renouveau pour Eckbo pour les municipales de 2026, critique un manque de transparence qui, selon lui, fragilise la vie locale : “L’Omsalc, c’est complètement opaque, complètement cornaqué par les adjoints actuels. Il y a une vision un peu passéiste de la culture à Eckbolsheim.”
“À presque 83 ans, je représente mal l’Omsalc, concède la directrice, Annie Legrand. Mais c’est difficile de se faire remplacer. Les jeunes ne veulent pas s’engager.” À la tête de l’organisme depuis six ans, elle peine à recruter des bénévoles, même en pleins préparatifs du marché de Noël.
L’octogénaire réfute tout manque de soutien aux initiatives locales : “Tous les présidents d’associations assistent aux réunions, il y a de la transparence. J’ai du matériel. Tout est gratuit. S’il y a besoin d’aider, on aide. On est neuf personnes au bureau et Michèle Merlin, l’adjointe à la culture (qui n’a pas donné suite à nos demandes d’interview), est à l’écoute.”
Sur les deux communes, les associations ne manquent ni d’idées, ni d’énergie, mais comme le rappelle Laurent Schott, trésorier de Ludi Wolfi, “dans le milieu associatif, le nerf de la guerre, c’est l’argent”.

Le terrain a été rénové aux frais des boulistes. © Flavia Adamciuc
Les boulistes en bout de piste
À Wolfisheim, Mohammed Entaji, vice-président du club Les Amis de la pétanque déplore le manque d’investissement de la commune : “On est livrés à nous-mêmes. On a dû refaire les terrains. Je demandais juste une participation à la mairie, pas la totalité, mais ils ne nous ont pas donné un euro.” Au milieu des médailles et des certificats de victoire accrochés au mur du local que la mairie lui loue, il explique que le club survit grâce à la buvette, aux soirées à thème ponctuelles et aux cotisations (56 euros annuels) de sa centaine de licenciés. “La seule chose que la commune nous accorde, c’est l’éclairage extérieur.”
Olivo Bagarry, Gaby Fabresse et Lilou Marjolet