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La ferme du Muehlbach, à Wolfisheim, est l’une des dernières de la commune. Les frères Arnaud et Mathias Ostermann maintiennent l’héritage familial à flot.

Le champ disparaît presque entièrement derrière le brouillard. Une brume si dense qu’elle oblige Mathias Ostermann à faire avancer son tracteur au pas. Ce matin-là, le jeune agriculteur sème le blé sur sept hectares de terrain, au nord de Wolfisheim. À 23 ans, il gère, avec son frère Arnaud, la ferme du Muehlbach. “Je conduis le tracteur depuis mes 12 ans”, déclare-t-il, fier. L’exploitation familiale, qu’ils ont héritée de leur père, est l'une des dernières encore en activité dans la commune. 

Le développement d’une agriculture productiviste dans les années 1960 et 1970 met en difficulté les plus petites structures. Dans ce contexte, Jacky Ostermann, leur père, récupère des terrains répartis un peu partout à l’ouest de Strasbourg qui forgeront ensuite l’exploitation actuelle. “Il voyait bien qu’avec les prix de vente qui baissaient et ceux des machines qui augmentaient, il n’avait pas d’autre choix que de se lancer dans cette expansion, pour le futur, pour nous”, explique Mathias Ostermann. Les deux frères exploitent aujourd’hui 330 hectares de terrain.

Semer aujourd’hui : entre changements techniques et nouvelles attentes

En plus du blé, ils cultivent aussi du maïs, de l’herbe destinée au fourrage et des betteraves sucrières. Mais ce n’est plus aussi rentable qu’à l’époque de leur papa. “Le prix de nos céréales, ce n’est pas nous qui le décidons. Ce sont les États-Unis, l’Ukraine, le Brésil. Tout se joue ailleurs”, déplore Mathias. Son inquiétude se porte aussi sur la possible entrée en vigueur du Mercosur, un accord commercial en cours de discussion entre l’Europe et plusieurs pays d’Amérique du Sud. “Comment pouvons-nous être compétitifs face à des pays où les normes sont beaucoup plus souples ? On ne joue pas dans la même catégorie.”

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Mathias Ostermann commence sa journée en semant le blé. © Paul Schneider

Les évolutions des conditions sur le terrain les poussent à faire des changements : “On a dû arrêter les pommes de terre. On n’arrivait pas à se débarrasser du taupin”, se rappelle Mathias. Ses larves, très friandes des tubercules, prospèrent les années humides, altérant les récoltes. Pour éviter ces ravages, les deux frères reprennent la recette de leur père ; ils investissent. Ils souhaitent construire un silo et un séchoir à grains afin de stocker leurs céréales dans de bonnes conditions. Ils pourront ainsi revendre la récolte annuelle plus chère à leur coopérative. Il y a trois ans, ils se sont mis à la culture de la rhubarbe, dont ils vendent la production aux pâtisseries de Strasbourg. Un bon pari qui leur permet de contrôler leurs prix de vente. “Pour l’instant, la rhubarbe est presque anecdotique par rapport à nos cultures classiques, mais on voudrait en faire plus”, affirme Mathias. Il assume de suivre les tendances : “On change tous nos manières de faire, même si on ne le dit pas trop. Ça nous pousse à produire de la qualité. On a une réputation à tenir maintenant.”

Évolution du nombre de fermes au sud de la commune de Wolfisheim, entre 1950 et aujourd'hui.  © Clémence Dellenbach et Paul Schneider       

Le futur de l’agriculture

Les changements se font aussi à plus grandes échelles. Le soja représente désormais 7 % de leurs cultures. Cette plante capte l'azote, un engrais naturel très puissant présent dans l’air, et le stock dans la terre. Ainsi, les cultures suivantes auront moins besoin d’être fertilisées.

La réduction des pesticides et des engrais fait partie intégrante de leur démarche, et pas uniquement parce que les prix ont flambé au fil des années. Les deux frères ne comptent pas pour autant se tourner pleinement vers une culture biologique. “On ne traite pas par plaisir. On met le moins de produits phytosanitaires possible, juste ce qu’il faut, reconnaît Mathias. Mais en ce moment, les prix de vente des productions bio sont les mêmes qu’en conventionnel, alors que ça demande bien plus de ressources.”  

Sur son tracteur, les tracas de Mathias se dissipent. “Quand je me lève pour aller travailler, je ne le vois jamais comme une contrainte”, dit-il en regardant les sillons fraîchement tracés. “Je fais ce que j’aime, et ça, ça n’a pas de prix.” Et il ose même imaginer l’avenir : “J’aimerais transmettre cette passion à mes futurs enfants. Même si je sais que ce sera un autre monde, une autre agriculture.”

Clémence Dellenbach et Paul Schneider

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