Plantée en 2023, la micro-forêt de Wolfisheim s'épanouit le long du canal de la Bruche. En partenariat avec la mairie, le projet de l’entreprise BeeForest tire son financement d’un acteur plus étonnant : Pampers. Enquête sur l'intérêt des multinationales pour les projets de reforestation.
Une jungle rendue humide par la pluie de novembre avec ses cimes qui dépassent les six mètres de haut. Le long du canal de la Bruche, une parcelle de 350 m² abrite un millier de chênes, érables ou encore ormes - au total une vingtaine d’essences locales. Les troncs s’étirent pour atteindre les dernières lueurs de l’automne à travers la densité des branches. C’est le propre des forêts Miyawaki. Inventées au Japon, elles ont pour ambition de restaurer les forêts primaires et sont importées dans les villes européennes en réponse au dérèglement climatique. À Wolfisheim, la micro-forêt fêtera bientôt ses trois ans.
À l’origine du projet, Mathieu Verspieren, créateur de l’entreprise BeeForest. L’ancien ingénieur agronome démarche les mairies pour obtenir des terrains et coordonne la plantation. L’un de ses objectifs : "sensibiliser et impliquer les enfants des écoles". Ce qui a convaincu Laurence Meyer, adjointe à l’environnement de Wolfisheim. "On a fait participer toutes les associations, les pompiers, le foot, les écoles, les parents. On a planté des arbres [pour] les bébés de l’année."
De nouveaux acteurs prêts à verdir les images des entreprises
Face au panneau d’information qui présente l’initiative, des pictogrammes interpellent. Pampers finance et BeeForest est missionnée par Reforest’Action. Sur son site internet, on apprend que l’entreprise est spécialisée dans la "régénération des écosystèmes terrestres”. Nouant des partenariats avec un grand nombre de multinationales telles que le géant italien des hydrocarbures ENI ou le groupe LVMH, Reforest’Action offre l’opportunité à ces sociétés de verdir leur image en contribuant financièrement à des projets de reforestation.

Avec trois arbres par mètre carré, la micro-forêt de Wolfisheim est dix fois plus dense qu’une forêt classique. © Robin Grange

Jusqu’à ses deux ans et demi, un bébé consomme en moyenne 3 500 couches, qui nécessitent 4,5 arbres pour leur fabrication. © Nina Brulaire et Robin Grange
Pampers* cherche aussi à nuancer son bilan. Celui d’une industrie des couches jetables extrêmement polluante. Selon une étude menée par la Defra, l’agence de l’environnement britannique, la consommation de couches d’un nourrisson émet environ 500 kg de CO2. L’essentiel de ce bilan provient de la production et du traitement des déchets après utilisation. Avec plus de 600 000 naissances en France chaque année, ce sont 300 000 tonnes de CO2 qui sont émises dans l’atmosphère, l’équivalent des émissions de la Guyane. Niveau déchets, les couches constituent à elles seules 5 % de la masse totale des ordures ménagères en France.
L’industrie des couches jetables en pleine mutation
Ce constat a nourri l’envie de nouveaux acteurs de proposer une gamme plus vertueuse. Le marché des couches éco-responsables, aux ingrédients bio-sourcés, représente aujourd’hui 25 % des ventes du secteur selon l’institut d’études Xerfi. "Il existe une vraie prise de conscience des jeunes parents de faire attention à la fois à la peau de leur bébé mais également à la planète", explique Valérie Melchiore, professeure de marketing à l’université de Cergy. Un défi pour Pampers, toujours leader en France avec 53 % de parts de marché, mais qui se doit de réagir pour conserver ce statut. Sa gamme Harmonie, lancée en 2018, se veut plus éco-responsable et contribue directement au financement de projets de reforestation.
"Quand on s'appelle Pampers, qu’on est une grosse marque américaine qui a pollué pendant des années et qui appartient à Procter & Gamble, on a besoin d'éléments de preuve pour crédibiliser son discours", poursuit Valérie Melchiore. Et donc de financer des micro-forêts comme celle de Wolfisheim. Quitte à en exagérer l’impact réel. Comme l’a noté le Jury de déontologie publicitaire dans un avis en 2023, "la revendication prétendument plus naturelle de cette gamme de couches est excessive et disproportionnée et de nature à induire en erreur le consommateur". Autrement dit, les actions de Pampers s’apparentent à du “greenwashing".
Un impact écologique difficile à mesurer
À l’échelle des émissions de Pampers, la compensation par cette micro-forêt semble marginale. L’efficacité d’une telle initiative dépend essentiellement de son entretien. "Au moment où les plantes vont mourir, elles vont libérer le CO2 qui a été stocké. C'est un stockage qui est temporaire pendant la croissance", décrit Renaud Toussaint, directeur de l’Institut Terre et Environnement de l’université de Strasbourg. Par ailleurs, les indicateurs donnés par les entreprises de reforestation se basent sur des données scientifiques encore ténues. Renaud Toussaint rappelle que l’action reste avant tout symbolique : "Un agriculteur avec des haies va avoir un impact plus fort que ça."
Greenwashing ? N’en parlez surtout pas à Mathieu Verspieren. "Pampers ne m’a pas demandé de les mentionner sur le panneau d’information. Les entreprises essaient de faire leur part", défend-il avec conviction. Et Laurence Meyer de renchérir : "Il vaut mieux que les entreprises fassent ça plutôt que d'aller créer une mine dans le sud de l'Afrique."
Nina Brulaire et Robin Grange
* Sollicitée à plusieurs reprises, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.
La micro-forêt de Wolfisheim située le long du canal de la Bruche. © Nina Brulaire et Robin Grange