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Christa Wolff a, toute sa vie, exprimé sa passion pour le théâtre. À 73 ans, elle est la créatrice de l’association Thenso, une troupe implantée à Wolfisheim et inspirée du Théâtre du soleil.

Lorsqu’on lui demande comment est née sa passion pour le théâtre, elle écarquille les yeux comme pour saisir les souvenirs qui se bousculent dans sa tête. Son visage s’illumine. De sa voix rauque, Christa Wolff s’égare et raconte ses parties de balle aux prisonniers qui lui ont valu des heures de retard, ou la fois où “Petite Christa” s’est battue pour instaurer une section maths au lycée... La bavarde s’interrompt. Elle fixe sa tasse de café, reprend, avant de se perdre à nouveau.

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Christa a fondé le Thenso, qui fêtera son dixième anniversaire en 2026. © Ella Peyron

“J’étais coincée dans ma génération, explique la femme aux cheveux rouges. C’était hors de question qu’une fille s’émancipe pour devenir comédienne.” Malgré l’éducation traditionnelle de sa mère et de sa grand-mère, la lycéenne de Mai-68 privilégie ses études, soutenue par son père. Grâce à lui, Christa découvre la culture du théâtre, du “spectacle vivant” comme elle dit. “Avec mon frère, on a été biberonnés à la musique classique et à l’art en général.” À 14 ans, la collégienne de Lucie-Berger embarque un petit groupe de copines dans sa première représentation. Vingt ans plus tard, c’est en tant qu’enseignante de français à Villerupt (54), puis au collège de Schweighouse-sur-Moder, qu’elle mettra en place des ateliers théâtre. La Strasbourgeoise née en 1952 transporte le 6e art partout, même là où on ne l’attend pas.

Christa aime les mots “challenge” et “renouveau”. À l’issue de sa maîtrise, elle fait de sa soutenance un véritable spectacle : théâtre, danse et musique. En 1977, elle monte une troupe en Algérie avec d’autres coopérants. À son retour trois ans plus tard, elle suit un an de cours dans l’école de théâtre Jacques-Lecoq à Paris et obtient par la suite le statut d’intermittente. 

Embauchée par le Théâtre jeune public (TJP) de Strasbourg entre 1983 et 1985, la théâtreuse est intervenue dans plus de 110 écoles alsaciennes pour démocratiser l’art dramatique, jusque dans les milieux ruraux. Elle fait perdurer cette initiative avec Thenso, l’association de théâtre qu’elle crée à Wolfisheim en 2016. “Elle s’engage beaucoup sur ce qu’elle fait, elle a ses idées bien en tête”, affirme Bruno Knaub, ami de Christa et habitant de la commune. Des masques aux formes absurdes, des costumes colorés, des sons originaux et même du mime : voilà comment Christa conçoit son art, tout droit inspiré du Théâtre du soleil d’Ariane Mnouchkine. Une vision qui fédère. “Elle a impulsé l’amour du jeu à beaucoup de personnes”, souligne Arnaud, “petite main” de Thenso. “Elle est tellement passionnée qu’elle nous le transmet au plus profond de nous”, confirme Mathilde, une jeune comédienne et adhérente.

Une femme de caractère

Le TJP n’est finalement qu’une parenthèse. A-t-elle manqué le tournant professionnel de sa carrière ? L'ambitieuse cogite et constate : “Mon problème, toute ma vie, c’est que je suis en retard.” Rattrapée par ses impératifs familiaux et freinée par des blessures à répétition, elle retourne à l’enseignement et crée une première troupe amateur, le Théâtre des quinquets à Wolfisheim en 1993.

Madame Wolff accumule les expériences et impulse un rythme “semi-pro” à ses troupes, qui a pu diviser. “Il y a eu un gros clash au départ de Christa”, confie l’actuel président des Quinquets à ce sujet, qui préfère aujourd’hui retenir “le professionnalisme” qu’elle leur a apporté. Avec ses lunettes extravagantes, et ses tenues toujours assorties, Christa ne passe pas inaperçue. “Elle a une personnalité assez forte”, “elle peut nous amener au bout du monde mais elle est aussi très stricte”, confirment ses proches. Et quand la mairie de Wolfisheim juge qu’une deuxième troupe dans la commune est inutile, elle ne renonce pas.

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Christa a réaménagé sa "maison-théâtre" suite à la fermeture de ses locaux au fort Kléber. © Ella Peyron

Déterminée, elle multiplie ateliers et stages, et finit par s’implanter durablement dans la localité. Aujourd’hui grand-mère d’une petite-fille, elle n’a jamais fait l’unanimité : “Je ne rentre dans aucune case, je suis très clivante.” Déjà au lycée, certains collègues déconseillaient aux parents d’inscrire leurs enfants à son option théâtre par peur que cela desserve leur niveau scolaire.

Un tutu rose dans la chambre d'amis

La voilà ravie que Thenso ait gagné le cœur du public local, avec une salle comble lors des représentations des Misérables fin octobre. “C’est quelqu’un qui mérite d’être connu en tant que metteuse en scène et en tant que personne”, estime Mathilde. Et après la représentation, lorsqu’il faut démonter les tréteaux et dévisser les boulons, elle ne se repose pas sur les autres. À 73 ans, elle y va.

Celle qui, petite, se rêvait à la fois danseuse étoile, médecin et bonne sœur, vit aujourd’hui sa retraite entourée de costumes et de décors, logés dans sa maison qu’elle a réaménagée en 2024 suite à la fermeture de ses locaux au fort Kléber. Sur le portant installé dans la chambre d’amis qu’elle appelle “la loge” trône un tutu rose, destiné à sa prochaine création intitulée Simone, qui retracera les différentes étapes de sa vie. Sylvie, qui a partagé avec elle les bancs de la fac, l’assure : “Elle a toujours le même appétit de théâtre, elle ne s’économise pas. Et quand elle est sur scène, le monde peut s’écrouler, elle ne le note pas.” Nicole complète : “Elle est comme Molière, elle mourra sur scène.”

© Anaïs Coste et Ella Peyron

Les étapes théâtrales de la vie de Christa Wolff. © Anaïs Coste et Ella Peyron

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