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Acquis par la commune de Wolfisheim en 1996, le fort Kléber a laissé son passé militaire derrière lui. Pendant près de trente ans, il a vibré au rythme de la vie associative. Depuis la fermeture administrative prononcée en 2024, il est entré en hibernation.

Impacts de balles, fenêtres aux battants entrouverts, banderoles criardes, le soleil tape sur les briques du fort Kléber. Dans la cour intérieure de l’édifice, poules, chèvres et Coco le cochon attendent leur repas, agglutinés devant la clôture. Aujourd’hui, c’est Théodore Dettmann qui s’y colle. Depuis six ans, le septuagénaire enfile ses bottes pour rejoindre ses protégés. Le couloir qu’il emprunte trois fois par semaine, un seau de grain dans chaque main, est désormais silencieux. “Tout est mort depuis que l’intérieur du fort a été fermé aux associations [en juillet 2024]. S'il n'y avait pas les jeux pour enfants et la basse-cour, il n'y aurait plus personne”, regrette-t-il. Le fort, le bénévole le connaît depuis son service militaire, en 1973. “Il y avait plusieurs chambrées qui portaient chacune un nom selon la classe des appelés. J’avais la chambre Provence, s’amuse-t-il. Tous les deux mois, les libérables partaient et la classe suivante arrivait.” 

Après la poudre, les loisirs

 

Construit en 1875 par l’armée impériale allemande, le fort Fürst Bismarck - son nom d’origine - fait partie de la ceinture de 14 ouvrages destinés à protéger Strasbourg. À la Libération, il revient à l’armée française et sert de dépôt de munitions pour le 421ᵉ régiment d’artillerie antiaérienne. En 1966, le fort devient centre mobilisateur : il abrite alors 4 officiers, 17 sous-officiers et 60 militaires du contingent, ainsi que le matériel et l’équipement nécessaires à la mobilisation de 2 000 soldats.

À l’annonce de la fin du service militaire obligatoire, en 1996, l’armée quitte les lieux et l’État cherche à s’en débarrasser. Wolfisheim achète les terrains et la bâtisse pour 2,72 millions de francs. “Avec ce genre d’ouvrage, les mairies se retrouvent avec de grands bâtiments qui nécessitent des investissements. Ils coûtent cher avant même qu’on arrive à en faire quelque chose : il y a les chaufferies, l’eau, l’électricité…”, explique Philippe Burtscher, spécialiste de la ceinture fortifiée strasbourgeoise.

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Théodore Dettmann, bénévole de l’association La Basse-cour du fort Kléber, remplit une mangeoire à oiseaux. © Emeric Eymet

Occupé et entretenu pendant trois décennies par l’armée de 1966 à 1996, le fort Kléber, lui, est opérationnel lors de son rachat par la commune. Elle met à disposition les salles de l’édifice aux associations dès 1998. Le parc est ouvert aux visiteurs en 2010, après l’aménagement des extérieurs. “On était fier de dire qu’un ouvrage construit pour la guerre a été détourné pour l’art et les enfants”, soupire Laurence Meyer, adjointe au maire et ancienne présidente de l’Association des amis du fort Kléber.

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A l’entrée du fort, une passerelle a remplacé l’ancien pont-levis. © Carl Lefebvre

“Je ne m’attendais pas à ce qu’on soit viré comme ça”

Mais tout s'arrête à l’été 2024 avec une mise en demeure de la préfecture, imposant la fermeture du fort. L’ouvrage, classé ERP [établissement recevant du public], est contrôlé tous les trois à cinq ans.

Entre la troupe de théâtre à l’étage et le club d’aïkido au sous-sol, des dizaines d’enfants allaient et venaient dans les couloirs du fort Kléber. Lors de la dernière visite, le pompier préventionniste a estimé que l’absence de désenfumage était rédhibitoire. Une décision conforme au renforcement récent des normes anti-incendie*.

La préfète a adressé une lettre à chacune d’elles, leur ordonnant de libérer les locaux sous trois semaines. Paul Matthis, professeur et président du club d’aïkido, en est encore sonné : “Je ne m’attendais pas à ce qu’on soit viré comme ça. On savait que ce n'était pas aux normes, mais ça fait 27 ans que c’est le cas.”

Un an plus tard, même si son école a trouvé une solution de relogement à Oberschaeffolsheim, il n’a pas oublié Wolfisheim : “J’ai la chair de poule rien que d’en parler. Quand je mets la voiture au fort Kléber, j’ai envie de pleurer. Ce fort, c’est ma vie, j’y ai plus vécu qu’avec ma famille.” De ses propres mains, il avait posé des sols et monté des murs, afin de transformer un vieil entrepôt militaire en véritable dojo.

Un avenir au point-mort

Aujourd’hui, empêcher la dégradation du lieu reste la priorité de la municipalité. L’édifice est touché par des infiltrations inédites, causées par de violents épisodes de pluie. La mairie a commandité une étude afin de chiffrer différents scénarios de rénovation, respectant plus ou moins la nature de l’ouvrage. La simple remise aux normes du bâtiment, sans prendre en compte son architecture, coûterait 1,7 million d’euros. Une somme impossible à débourser pour le moment, selon Laurence Meyer. “On vient de refaire les écoles élémentaires et le centre sportif. On a encore des emprunts à rembourser. 

Le fort Kléber à l’époque militaire

Le fort Kléber de nos jours

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