À Wolfisheim, le crapaud vert, présent en Alsace depuis cinq cents ans, cohabite avec les résidents des Vergers du fort Kléber. L’espèce vit aujourd’hui sur un territoire remodelé par la construction du lotissement.
Sorti de terre l’an dernier à l’ouest de Wolfisheim, l’ensemble immobilier Les Vergers du fort Kléber regroupe environ 140 logements dans 17 bâtiments alignés en bordure de champ. De l’autre côté de la rue du Kriegacker, une parcelle de nature sauvage fermée par des barbelés attire l’attention. C’est l’habitat d’un petit individu discret : le crapaud vert (Bufotes viridis) ne se dévoile qu’aux noctambules lors de ses traversées crépusculaires.
Trapu, la peau granuleuse parsemée de taches vertes, cet amphibien est classé “en danger” sur la liste rouge régionale. L’espèce fréquente régulièrement la commune. Elle se trouve menacée par la destruction de son habitat naturel du fait de la bétonisation de terrains autrefois agricoles. “La cause principale de mise en danger, c’est la perte de l’habitat, souligne Antonin Conan, chercheur en écologie terrestre et spécialiste des crapauds verts. L’urbanisation fragmente les populations, les routes scindent des habitats.”
Compenser pour préserver
Contraint par le code de l’environnement de prendre des mesures compensatoires, le promoteur immobilier Cogedim Est fait appel au bureau d’études Socotec.

Le crapaud vert (Buffo Viridis) est classé sur la liste rouge régionale des espèces en danger. © Antonin Conan
Celui-ci propose des garanties de protection pour reloger le crapaud vert, aujourd’hui comme au cours des travaux, conformément à la procédure “éviter, réduire, compenser”. Durant le chantier, les constructeurs installent des barrières pour protéger les crapauds, attirés par les semblants de mares creusées lors du passage des engins.
Deux espaces dédiés flanquent la résidence et sa rue traversante. À l’ouest, une zone mise en jachère fait office de garde-manger pour le crapaud ; à l’est, une prairie lui sert de lieu de repos et de reproduction. Deux pierriers, trois mottes de terre, quatre tas de bois et des mares agrémentent le site. “C’est obligatoire, mais nous, ça nous correspondait et ça nous plaisait bien de protéger l’espèce”, expose Laurence Meyer, adjointe à l’environnement à la mairie de Wolfisheim. Malgré tout, la rareté des fauches effectuées sur ces espaces déplait à certains résidents agacés de leur aspect “sale”.
Les mesures compensatoires sont situées de part et d’autre du quartier Les Vergers du fort Kléber © Luck Boissière et Héloïse Lartia
“Souvent, le soir, ils font entendre leur chant, se réjouit Isabelle, habitante du lotissement. Une fois, mon fils et mon voisin en ont trouvé un et l’ont remis dans la mare de peur qu’il ne se fasse écraser.” Et le risque existe en effet, puisque les batraciens doivent traverser la rue pour naviguer entre les deux zones. Pas idéal, explique Antonin Conan : “Quand on met une zone urbanisée, typiquement, un lotissement avec des routes, on va à l'encontre de la trame verte et bleue, des corridors écologiques qui permettent aux animaux de se déplacer librement.”
Des aménagements supplémentaires
Olivier Saint-Jours, coordinateur environnemental chez Socotec, rappelle que le plan de gestion prévu sur vingt ans est en évolution constante. S’il y a actuellement trois mares interconnectées et non une seule, c’est parce que le Conseil national de la protection de la nature a recommandé des aménagements supplémentaires. D’autres modifications ont été adoptées quand l’un d’eux s’est révélé inadapté.
Des avaloirs avaient été pensés pour empêcher les crapauds adultes de tomber entre les barreaux. “On n’avait pas pensé aux juvéniles, qui sont tout petits, qui passaient au travers”, explique le chargé de suivi du site, qui a fait poser des grillages à mailles fines en réponse au problème. Idem pour les mares : après le décès d’un chat et d’un renard du fait d’une bâche trop glissante, une natte d’accroche a été apposée sur les côtés des bassins afin que tous les animaux aient un appui, puissent “boire en toute quiétude” et remonter aisément.
“Il y a plus d’individus aujourd’hui qu’avant la construction”, constate Olivier Saint-Jours. Un optimisme nuancé par Antonin Conan : “On a l'impression que c'est grâce à la zone de compensation qu'il y a plein de crapauds. Mais ils étaient déjà dans le coin auparavant.”
Le scientifique exprime tout de même sa satisfaction devant les mesures prises, qu’il trouve exemplaires puisqu’elles profitent également aux grenouilles vertes et aux petits mammifères comme les hérissons.

Les trois mares reliées entre elles offrent un lieu de reproduction aux crapaud verts. © Clément Vaillat
“Gérer un milieu d’une meilleure manière pour une espèce entraînera des répercussions pour d’autres espèces. D’ailleurs aujourd’hui, on se focalise de moins en moins sur une espèce, car tout est en interaction, c’est un écosystème”, rappelle Antonin Conan.
Luck Boissière et Héloïse Lartia