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Au fin fond de la zone d’activité d’Eckbolsheim, une boutique détonne : Osez Pilirose. Repris il y a deux ans par une employée, ce sexshop fréquenté par une clientèle masculine et âgée vient de nouer une collaboration avec une sexothérapeute et une organisatrice de soirées libertines.

Tout en chuchotant, Colin Lafond et Noémie Gomes scrutent et comparent les produits exposés devant le rayon des lubrifiants. “Vous avez vu que vous avez pris effet froid ?” Géraldine Lepold, la gérante du sexshop Osez Pilirose, s’approche d’une oreille attentive pour les conseiller. “Ici il y a une bonne partie de feeling et il y a l’aspect conseil qu’on recherche aussi”, confie le jeune homme de 22 ans, client régulier. La commerçante confirme : “Le premier contact avec mes clients, c’est le sourire, la bienveillance, je les écoute et les oriente. Ils peuvent être gênés au départ mais finissent par se sentir à l’aise.” Éva Igard, la sexothérapeute de 26 ans qui la remplace ponctuellement en son absence, témoigne : “Géraldine appelle ses clients par leur prénom et sait très exactement ce qu'ils veulent. Parfois, ils me disent : mais vous n'êtes pas Géraldine, où est-elle ?”

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Géraldine Lepold, au début du mois de novembre commence à mettre en place les produits de Noël, une période de l’année où elle réalise son meilleur chiffre d’affaires.
© Manon Vannier

Osez Pilirose se situe au 4, rue Ettore Bugatti dans la zone d'activité d'Eckbolsheim. © Axelle Lorans et Manon Vannier

Ce hangar de 230 m² aux murs rose flashy et au plafond de tôles traversé par de longs néons blancs abrite aujourd’hui le sexshop. “Je gère mon magasin. Il est toujours propre, rangé. C'est ma personne. C'est moi”, revendique la cinquantenaire, Géraldine Lepold. Elle l’a racheté seule en janvier 2024 après cinq années passées comme employée et une première carrière en animalerie. “J'avais envie d'avoir mon propre magasin”, affirme-t-elle avec sourire sans minimiser les sacrifices que cela lui impose. “J'ai fait plus de 50 heures par semaine en 2024. Mes repos, c'étaient les jours fériés. C’est intense.”

Une baisse de 20 % en 2025

Derrière sa caisse vieillotte, la gérante fait manuellement ses comptes de la matinée. Suite à la reprise, le chiffre d'affaires a augmenté de 38 %. En 2025, elle enregistre une baisse de 20 % qu’elle explique par le contexte économique national. Pour racheter le fonds de commerce, Géraldine Lepold a dû débourser 90 000 euros, dont 10 000 d’apport personnel. Pour le reste, elle a contracté deux prêts : l’un auprès d’une banque, l’autre de la Chambre de commerce et d’industrie. Elle ne se verse pas encore de salaire et vit, pour l’instant, de ses droits au chômage.

Coincé entre l’autoroute M 351 et un entrepôt d’outillage automobile, à l’extrémité nord de la zone d’activité d’Eckbolsheim, la boutique bénéficie d’une visibilité réduite. Une partie de sa clientèle apprécie cette intimité. “C’est mieux, c’est plus discret, je viendrais moins souvent si le magasin avait pignon sur rue”, confie d’un ton feutré Mike, 54 ans, client occasionnel.

À 15h25, un vieil homme franchit la porte de la boutique. Timide, tête baissée, il se précipite vers le rayon DVD. En fond, La Foule d'Édith Piaf résonne. D'une main il tend la monnaie, de l’autre il se hâte de ranger un DVD dans la poche intérieure de sa parka. Un achat ritualisé, presque routinier. Les DVD constituent la première source de ventes. Trans/homo, film français, nouveaux arrivages : en exposition sur des étagères et rangés par catégories, le rayon dédié à la pornographie a l’allure d’un disquaire des années 1990. La survie du sexshop s’appuie sur un socle de fidèles, certains présents depuis l’ouverture de la boutique en 2001 ; la plupart sont des hommes âgés de plus de 50 ans. Une clientèle qui peut parfois agir de manière déplacée. “Certains sont trop à l’aise, ils me demandent : vous avez essayé tous les appareils dans le magasin ? C’est toujours dans la rigolade, mais oui, ils le disent parce que je suis une femme”, déplore Géraldine Lepold.

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Le rayon consacré aux DVD érotiques propose des contenus classés selon les codes propres au genre pornographique.
© Axelle Lorans

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Une vitrine présente des plugs anaux argentés et ornés de faux diamants, mis en scène comme de véritables bijoux.
© Manon Vannier

Beaucoup de fausses croyances sur le sexe

“Malheureusement c'est compliqué de bouger une génération quand il y a une demande. Géraldine n’a pas envie de perdre son argent pour changer le monde”, assure, par pragmatisme, Éva Igard. Les allées d’Osez Pilirose illustrent une conception de la sexualité pouvant être considérée comme hétéronormée, patriarcale et blanche. Images suggestives de femmes, mannequins parés de porte-jarretelles et de bodys en résille arborent les rayons. En termes de représentation masculine, des godemichets surdimensionnés sont exposés. Mike s’en étonne d’un air amusé : “Il y a vraiment des gens qui achètent ça ? Ça fait complexer.” D’après la sexothérapeute, “beaucoup de fausses croyances sont très ancrées. Le porno en est un exemple”. Par le biais d’ateliers de sexo-éducation ayant lieu dans la boutique, elle s’efforce de déconstruire cette vision : “J’essaye de décomplexer cette génération mais je vois que ça rame. Les gens sont très intimidés de se retrouver en groupe.”

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