À Wolfisheim, entre 1h et 6h du matin, les artisans de la boulangerie L’Authentique préparent pains et viennoiseries. Ces horaires de nuit affectent leur vie quotidienne.
2h du matin. Sylvain Trotignon, gérant de la boulangerie L’Authentique à Wolfisheim, a commencé sa journée de travail depuis une demi-heure. Les mains dans la pâte, il façonne une fournée de baguettes tradition. “C’est rythmé, avoue-t-il. Quand on arrive, il n’y a pas besoin de réfléchir. La première heure c’est presque par automatisme.” À la tête de cette boulangerie artisanale depuis 2023, le Tourangeau de 28 ans a toujours perçu le travail de nuit comme indissociable de sa profession.
Une pause d’au moins vingt minutes est obligatoire pour tous les employés travaillant plus de six heures. Cet impératif n’est pas évident à appliquer pour les boulangers de L’Authentique. Entre deux cuissons, ils peuvent boire un café, mais s’abstiennent de s’arrêter pour ne pas “casser le rythme”. Théo De Brito s'active au four. Arrivé à 3h, le jeune homme de 19 ans ne ralentit pas le mouvement entre le pétrin et le nettoyage : “En général, ça s’enchaîne assez vite le matin.”

Sylvain Trotignon a le coup de main pour façonner les bretzels. © Roxane Guesdon
Un rythme difficile à tenir
Ces horaires nocturnes ont des conséquences sur la santé. Côté alimentation, trouver son rythme n’est pas une mince affaire : “J’en ai pas mal souffert, souligne Sylvain Trotignon. À quelle heure tu manges, en quelle quantité... On se bousille vite l’organisme. Quand on rentre, soit on mange des pâtes comme d’habitude, soit c’est McDo, et là ça devient compliqué.” Pour tenir, le gérant essaye de garder la forme en allant à la salle de sport deux fois par semaine.
Le travail de nuit, pas sans risque pour la santé
Compris entre 21h et 6h, le travail de nuit concerne 10,9 % de la population active française en 2024, selon l’Insee. Près d’un tiers de ces personnes travaillent dans la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac. Des horaires qui ont des conséquences sur la santé. Selon une étude menée en 2024*, le risque de surpoids est plus élevé chez les travailleurs de nuit.
* Boini Stéphanie, Bourgkard Eve, Esquirol Yolande. “Conséquences du travail posté/nuit et de la durée d’exposition sur le risque cardiovasculaire : quelles implications pratiques en santé travail ?”
Concernant le sommeil, les boulangers ont leurs propres habitudes : “Je travaille jusqu’à 10h puis je dors deux heures l’après-midi, raconte Sylvain Trotignon. La motivation la plus dure à trouver c’est au réveil de la sieste.” Pour Théo, la fatigue accumulée se fait sentir “surtout en fin de semaine”. Chose rare pour les boulangers, cet artisan dispose de son week-end, mais pour le reste de l'équipe le repos s'étend du dimanche au lundi.
L'équilibre social mis à rude épreuve
Eliot Carlier, 21 ans, apprenti à L’Authentique avec les Compagnons du devoir*, y trouve son compte. Vivant dans la résidence des Compagnons à Strasbourg, sa vie sociale est bien remplie, entre après-midi libres et quelques fêtes. De son côté, Sylvain a coupé les ponts avec certains amis mais s’en est fait de nouveaux. “Le plus compliqué, c’est dans la vie de couple, c’est chaud à accorder quand l’autre ne fait pas le même métier.”
Des horaires nocturnes contraignants qui offrent l'avantage d’échapper aux embouteillages. En voiture ou à moto, le patron et les employés habitent tous dans un rayon de six kilomètres et arrivent en quelques minutes à L’Authentique.
Leurs conditions de travail ont beaucoup évolué au cours des trente dernières années. “En boulangerie, on était les champions du monde [de la pénibilité]”, souligne le gérant. Avant l’arrivée de machines programmées, les boulangers démarraient généralement à 20h. Aujourd’hui automatisées, elles permettent de planifier la poussée des pains et viennoiseries. Cette avancée considérable en fait “un métier plus conventionnel”, selon Sylvain Trotignon.

Si la pénibilité a diminué, le métier de boulanger reste difficile. © Roxane Guesdon
Il est 5h30. La nuit s’achève. Les männele, à peine sortis du four, sont installés dans la vitrine, aux côtés des petits pains, prêts à être dégustés par les lève-tôt.
Roxane Guesdon et Alexia Sabatier
* L’Association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France (AOCDTF) réunit un ensemble de métiers dits traditionnels, dont la boulangerie.
Le travail de nuit dans l'alimentation sur les communes de Wolfisheim et d’Eckbolsheim. © Roxane Guesdon et Alexia Sabatier