Peu connue pour son cinéma, la Jordanie est réputée pour ses avantages financiers et ses paysages qui attirent les productions internationales. Les cinéastes jordaniens, eux, peinent à y trouver leur compte.
Indiana Jones, Rey dans Star Wars, Paul Atréides dans Dune, tous ces personnages du cinéma hollywoodien ont foulé les paysages désertiques de la Jordanie. Depuis Lawrence d’Arabie, sorti en 1962, le pays est au générique de nombreuses productions internationales. Avec ses dunes de sable à perte de vue, ses monuments antiques, ainsi que la mer Morte, la cinégénie des paysages du Royaume hachémite en font un décor de film géant qui a su convaincre les réalisateurs internationaux au fil des décennies. Avec un argument phare : la diversité. Autant des lieux que des peuples. « Tout ce dont les productions ont besoin, nous l’avons, scande Bachar Abou Nouar, responsable des services de production de la Commission royale du film, une organisation gouvernementale. Dans un pays où tout est accessible à moins de cinq heures de voiture et la multiplicité des ethnies permet d’illustrer aussi bien une ville arabe qu’un campement de Bédouins dans le désert. »
Forte de ses atouts, la Jordanie déroule le tapis rouge aux productions venues du monde entier. Entre alors en scène la Commission royale du film, créée en 2003 avec pour ambition de « développer une industrie cinématographique compétitive à l’international ». Exonération des taxes et des frais de douane pour importer le matériel de tournage, subvention correspondant à un pourcentage du montant dépensé lors du tournage (jusqu’à un quart, contre 15 % pour les locaux, avec un maximum de 2 millions d’euros) : la Jordanie ne lésine pas sur les avantages fiscaux accordés depuis 2014 aux productions étrangères. Et la recette fonctionne avec des retombées économiques estimées à 500 millions de dollars (soit 460 millions d'euros) depuis 2007, selon la Commission royale. « Même l’armée est disponible pour les réalisateurs ! indique Mohannad Al-Bakri, directeur de la Commission royale. S’ils veulent des véhicules militaires, nous avons le musée royal, ils n'ont qu’à choisir. » Mieux encore, ils possèdent une totale liberté sur les sujets abordés dans les scénarios, contrairement au Maroc.
Un « écosystème » cinématographique enfin complet
« Promouvoir la Jordanie », l’expression est dans la bouche de tous les acteurs locaux de la filière. « C’est avant tout du marketing et du business », résume Majd Abu Arqoub, chargé du marché français pour l’office de tourisme jordanien. Ce secteur tire profit de l’image véhiculée dans les superproductions internationales. « Les gens veulent voir les lieux qu’ont foulés leurs acteurs préférés, se réjouit Majd Abu Arqoub. Le film indien Bade Miyan Chote Miyan, tourné au début de l'année, a amené des milliers d’Indiens à nous demander des renseignements pour visiter les lieux qui ont servi de décor au film. »
Après quelques productions notables comme Theeb (2015) premier film jordanien nommé aux Oscars et le tournage en Jordanie de la première série arabe de Netflix, Jinn (2019), l’industrie cinématographique du pays ouvre un nouveau chapitre : Olivewood, financé par le fonds souverain pour le développement du roi Abdallah II.
Ce studio, ouvert en 2023, est le premier à être spécialisé dans le tournage de films, en plus de proposer celui de publicités, séries et clips musicaux.
6 000 formations dispensés chaque année
De quoi toujours mieux accueillir les long-métrages étrangers avec désormais « un écosystème cinématographique complet », vante Jumana Sharbin, directrice d’Olivewood. Alors que la Jordanie n’offrait jusqu’à maintenant que des décors naturels, elle possède aujourd'hui de quoi en créer en intérieur.
Aux premières loges de cette réussite, les techniciens présents sur les plateaux qui bénéficient des 6 000 formations dispensées chaque année par la Commission royale.
Et le pari de les former pour qu’ils puissent travailler sur les tournages étrangers fonctionne : la Commission royale estime que près de la moitié des équipes des films étrangers sont composées de Jordaniens, soit nettement plus que le quart requis pour profiter des avantages fiscaux. Sur le tournage de Dune 2, ils étaient même 210 locaux engagés sur une équipe de 250.
Le réalisateur Mahmoud Massad plaide pour que le cinéma jordanien soit mieux financé. © Marine Fersing
Le business avant l’art
Les retombées de l’investissement des productions internationales pour le cinéma local se font malgré tout attendre. S’il existe un fonds annuel de la Commission royale du film pour les projets cinématographiques de la région, doublé par rapport aux années précédentes, il ne reste que de 450 000 JOD (soit 585 000 euros), et finance plusieurs films. « C’est tellement insuffisant. Il couvre à peine plus de la moitié du budget pour un seul film », constate Mahmoud Massad, réalisateur et producteur indépendant. Le budget d’Inchallah, un fils d’Amjad Al Rasheed, premier film jordanien sélectionné à Cannes en 2023, s’élève à un peu plus de 814 000 JOD. Le long-métrage est le fruit d’une co-production franco-jordanienne, les financements étrangers étant « un passage quasiment obligatoire pour les indépendants », selon le réalisateur.
Déjà faible, ce soutien financier est surtout instable. Celui alloué par le gouvernement à la Commission royale oscillant beaucoup chaque année, l’existence des centres cinématographiques et le montant du fonds pour le cinéma régional est régulièrement remis en question. Alors que le cinéma international s’enracine en Jordanie, « les locaux qui réussissent dans les grands festivals ne sont pas reconnus à leur juste valeur au pays », dénonce Mahmoud Massad. Il raconte l’anecdote qu’il trouve « indécente » du réalisateur de Theeb : « En 2016, quand le Bafta [César britannique, ndlr] de Naji Abu Nouar lui a été envoyé, il a été pesé par les douanes. Quelques jours après, Naji a reçu une lettre avec une somme à payer : 97 dinars. Dans le même temps, la Commission royale exempte de taxes les cinéastes étrangers ! »
Si l’avenir de la Jordanie en tant que décor de films étrangers s’annonce plus que radieux, son cinéma local n’aura pas de pavillon au Marché du film de Cannes 2024, seulement un simple poster de promotion, faute de moyens. « Nous avons décidé d’être plus présents au Marché international des programmes de télévision. Il fallait faire un choix », justifie Bachar Abu Nouar de la Commission royale. Une première en dix-huit ans qui complique l'exportation des films jordaniens. Une dynamique que regrette Mahmoud Massad. Pour lui, « c’est comme pour le sport, le gouvernement ne fait rien pour que la Jordanie ait une existence propre en culture. »
Marine Fersing
Cinq bandes originales pour découvrir le cinéma en Jordanie
Vous avez sûrement, sans le savoir, déjà regardé un film avec une scène tournée en Jordanie. Star Wars, Dune, pour ne citer qu’eux. Le pays ne devrait pas tarder à accueillir son 100e film étranger dans l’un de ses décors particulièrement cinégéniques. Rien que sur les quinze dernières années, 72 ont décidé de venir dans le pays.
Lawrence d’Arabie, 1962, réalisé par David Lean, musique composée par Maurice Jarre
Avec le film de David Lean, Lawrence d’Arabie, c’est un nouvel imaginaire cinématographique, celui des grandes épopées dans le désert, qui est créé. Sa bande originale, composée par Maurice Jarre, est l’une des plus célèbres de l’histoire du cinéma et vaudra au compositeur sa première récompense aux Oscars pour la meilleure musique originale.
Indiana Jones et la Dernière Croisade, 1989, réalisé par Steven Spielberg, musique composée par John Williams
Avant la mise en place d’avantages fiscaux (exonération de taxes et des frais de douanes ainsi que des subventions) en 2014 par la Commission royale du film, des tournages ont choisi d’installer leur plateau en Jordanie et plus particulièrement à Pétra – une des sept merveilles du monde moderne – comme celui d’Indiana Jones et la Dernière Croisade. C’est dans le Khazné, le tombeau le plus connu du site que l’aventurier incarné par Harrison Ford achève sa quête du Saint-Graal. Pour illustrer en musique ce périple, Steven Spielberg a fait appel à John Williams, le compositeur de bande originale le plus sélectionné aux Oscars avec 48 nominations.
Theeb, 2015, réalisé Naji Abu Nowar, musique composée par Jerry Lane
Le film du réalisateur britannico-jordanien raconte l’histoire d’un petit garçon bédouin de huit ans grandissant dans le désert du Wadi Rum pendant la Première Guerre mondiale. Tourné en grande partie avec des acteurs non-professionnels, il s’agit d’une co-production entre quatre pays : le Royaume-Uni, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Jordanie. Les fonds étant souvent insuffisants pour financer les films locaux. Le film devient, en 2016, le premier film jordanien à être nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Inchallah un fils, 2023, réalisé par Amjad Al-Rasheed, musique composée par Andrew Lancaster et Jerry Lane
Malgré les difficultés financières, les réalisateurs jordaniens se fraient un chemin dans les grands festivals cinématographiques internationaux comme la Mostra de Venise et plus récemment le festival de Cannes. En 2023, Inchallah un fils signe la première sélection cannoise pour un film jordanien. Mais attention c’est bien dans une sélection parallèle que le film a été présenté : la Semaine de la Critique, créé par le Syndicat français de la critique de cinéma.
La saga Dune, réalisée par Denis Villeneuve, musique composée par Hans Zimmer
C’est le dernier grand blockbuster tourné en Jordanie après Star Wars et John Wick. Avec pour l’instant deux films, l’aventure Dune n’est pas encore finie. Un troisième volet est attendu. Des projets qui sont une bonne nouvelle pour l’économie du pays et particulièrement le secteur du tourisme. Après la sortie de Seul sur Mars en 2015, l’office du tourisme jordanien a créé des camps reproduisant ceux du film dans le désert.