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D’origine tchétchène, Tina Halaw et Jumana Arslan ont toujours vécu en Jordanie. Même si elles s’y sentent chez elles, les deux femmes cherchent à préserver les traditions de leur communauté. 

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Pour la mère et la fille, la Jordanie est comme leur maison. © Johanna Mohr

Des sons étranges retentissent. Tina Halaw, 24 ans, vient de frapper les cordes d’un merz ponder, un instrument tchéchtène de la taille d'un ukulélé. « Malheureusement, il est désaccordé, mais je ne peux pas en jouer de toute façon. On ne trouve pas de tutoriel sur YouTube, on apprend grâce aux autres », regrette-t-elle. Comme sa mère, elle est née en Jordanie et se définit « Jordanienne-Tchétchène ». Ils sont une dizaine de milliers de leur communauté à vivre dans ce pays. « Je n'ai pas choisi de venir ici, mais je suis très reconnaissante de ce que nous avons aujourd’hui », reconnaît Jumana, 50 ans, consciente de ce que leurs ancêtres ont traversé. Mère et fille sont fières de tout ce qui fait partie de leur origine : la langue, la cuisine, mais aussi les danses et la musique.

En 1944, le grand-père de Jumana fuit la Tchétchénie avec sa famille pour la Jordanie alors que Staline ordonne la déportation vers l’Asie centrale de ce peuple du Caucase. « En URSS, les musulmans n'étaient pas autorisés à prier », raconte Jumana. Libre de pratiquer son culte sur le territoire jordanien, leur aïeul a préservé les traditions de sa communauté. Près d’un siècle plus tard, Jumana continue de transmettre cet héritage tchétchène à ses trois enfants. « C’est l’essentiel de mon identité », clame Tina, sa fille aînée.

« Nous avons le droit d’être nous-mêmes » 

Trouver sa place dans le pays leur paraît moins difficile en Jordanie qu’en Russie. « Ceux qui ont grandi en Tchétchénie sont fatigués de l'histoire et ne veulent plus de problèmes » , explique Tina. Opposée à la fédération de Russie, la Tchétchénie s’est battue pour son indépendance lors de deux guerres sanglantes, la première de 1994 à 1996 et la seconde de 1999 à 2009. « Ici, nous n'avons pas à lutter pour exister, nous avons le droit d'être nous-mêmes », affirme Jumana.

Grâce à l’islam sunnite, cette dernière se sent même proche des autres Jordaniens : « Quand on pratique la religion, nous sommes tous égaux. »  Même avec une croyance et une nationalité commune, Jumana insiste sur les différences entre les Arabes et les Tchétchènes. « Nous sommes si fiers de notre culture et ils sont si fiers de la leur. Nous ne partageons pas les mêmes traditions et je crains parfois de les offenser. Contrairement à eux par exemple, nous ne faisons pas la bise. » 

La Tchétchénie, un autre monde

Jumana et Tina n’ont jamais mis les pieds en Tchétchénie. « Si je vais là-bas, je me sentirais comme une touriste car ma maison, c’est la Jordanie », estime Tina. Pour sa mère, ce territoire,  où vivent encore des membres de sa famille, semble être un autre monde. « Cela doit être incroyable d’entendre dans la rue tout le monde parler tchétchène. » Originaire du Caucase, leur langue est bien différente de l’arabe et ne ressemble plus vraiment à celle parlée actuellement en Tchétchénie : « Nous avons mieux conservé la langue ici. Nous n'avons pas été influencés par le russe », affirme Jumana.

La pérennité de leur culture est loin d’être évidente. « Pour mes enfants, cette identité ne sera pas préservée déjà parce que je suis aussi circassienne [autre peuple caucasien de Russie, ndlr] du côté de mon père et je ne sais pas encore qui sera mon mari », considère Tina. Sa mère qui espère la voir s’unir avec un Tchéchène se veut plus optimiste. « Ne t’inquiète pas pour ça, tu viendras me rendre visite avec tes enfants chaque jour sans exception », lâche-t-elle dans un éclat de rire complice avec sa fille.

Océane Caillat
Johanna Mohr

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