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Des centaines de milliers d'abonnés suivent Hiba Abou Chawareb et Alaa Bouchnaq sur Instagram. Depuis le début de la guerre, ces influenceuses jordaniennes cherchent à toucher au-delà du monde arabe avec leurs vidéos.

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D'origine palestinienne, les Jordaniennes Alaa Bouchnaq et Hiba Abou Chawareb ont revu leurs contenus pour les aligner avec le contexte géopolitique et leurs valeurs. © Célestin de Séguier

Dès les premiers bombardements israéliens, « tous les influenceurs se sont mobilisés pour montrer ce qui était en train de se passer ». Pour Hiba Abou Chawareb, consultante en entreprise née à Gaza, Instagram n’est plus seulement une plateforme où partager sa passion de l’économie. Le réseau social est devenu le moyen de sensibiliser à la cause palestinienne. « Au début de la guerre, j’ai fait une vidéo sur la liste des marques occidentales à boycotter car elles soutiennent Israël. Elle est devenue virale, avec près de huit millions de vues. »

En Jordanie, les vlogueurs ou humoristes les plus populaires sur Internet ont changé leur ligne éditoriale. Soutenus par des millions de followers, ils évoquent le conflit en relayant notamment les images terribles de victimes et de l’enclave bombardée. « Quand la guerre a commencé, j’étais très triste. Je savais que j’avais des abonnés français, américains, anglais…, se rappelle Alaa Bouchnaq, 32 ans, étudiante en journalisme d'origine palestinienne et suivie par 600 000 abonnés sur Instagram. Je voulais montrer que nous n’étions pas des terroristes, contrairement à ce que disent les médias occidentaux. J’ai essayé de rappeler le contexte de la guerre en anglais. D’autres influenceurs ont aussi partagé des vidéos dans plusieurs langues pour parler au plus grand nombre. »

Certains sont allés plus loin. Grâce à des associations humanitaires, les fers de lance de l’influence jordanienne en ligne, comme Deya Elayyan (2,2 millions d’abonnés) ou Tamer Bessiso (un million), se sont rendus sur place pour filmer au plus près les ravages de la guerre. Une stratégie qui a décuplé leur audience, leurs « reportages » au milieu des ruines de Gaza dépassant tous le million de vues. « Il y a une autre guerre qui se déroule en ce moment sur les réseaux sociaux pour montrer la vérité. Ils sont les meilleurs outils pour partager ses opinions », analyse Alaa Bouchnaq.

 

Mais la reconversion en militant n’est pas sans risque. Face au succès de sa vidéo sur le boycott, Hiba Abou Chawareb s’est vue attaquée en justice pour diffamation par les entreprises pointées du doigt. « J’avais montré leur logo, sans citer leur nom, se défend-elle. Mais ce type de vidéo n’est pas autorisée en Jordanie. Je dois bientôt me rendre au tribunal. Toutes ces entreprises nous mettent la pression. À vrai dire, je fais davantage attention à ce que je dis depuis. »

« J’ai refusé le contrat de mes rêves »

Les répercussions sont aussi économiques. « Après le 7 Octobre, une grande enseigne occidentale de vêtements, aujourd’hui honnie, m’a proposé un contrat de plusieurs milliers de dinars jordaniens, rembobine Hiba Abou Chawareb encore émue. Avant, je l’aurai accepté sans réfléchir ! C’était le contrat de mes rêves. Mais j’ai refusé. » Un engagement moral pas forcément suivi par tout le monde, d’autant que « les marques ont augmenté les montants des partenariats avec les influenceurs pour redorer leur image », assure l'influenceuse.

En septembre 2023, avant même le début de la guerre, une nouvelle loi sur la cybercriminalité est entrée en vigueur. Officiellement adoptée contre le hacking ou le vol de données, elle est aussi utilisée pour réduire la liberté d’expression sur Internet. Les auteurs de messages en ligne, considérés comme « méprisant la religion » ou « mettant en péril l’unité nationale », peuvent être emprisonnés. Mi-mai 2024, Hiba Abou Taha, journaliste, a ainsi été détenue pendant une semaine pour avoir écrit un article sur les exportations de produits jordaniens vers Israël. Un an auparavant, Tik Tok, plateforme très prisée, était interdite. Un obstacle néanmoins contourné grâce aux VPN, selon les deux influenceuses, déterminées à poursuivre leur engagement pour gagner le soutien des internautes du monde entier.

Milan Derrien

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