En Alsace, les sept candidats aux municipales investis ou soutenus par La République en marche sont issus de formations politiques diverses. Une étiquette adaptable, signe d’une stratégie pragmatique du parti, loin de ses ambitions originelles de renouvellement politique.
La recomposition politique insufflée par les « marcheurs » a-t-elle atteint ses limites ? En 2016, Emmanuel Macron, alors candidat, avait érigé le « renouvellement » des profils comme priorité de son mandat à venir.
Quatre ans plus tard et à l’approche des municipales, la perspective pour La République en marche (LREM) de conquérir des villes face à « l’ancien monde » semble pourtant s’éloigner, alors que le parti affrontera sa première élection locale.
Dans les villes françaises qui comptent plus de 9 000 habitants, LREM a accordé 289 investitures officielles à des « marcheurs ».
En Alsace, ils sont seulement trois : Alain Fontanel (ex PS) à Strasbourg, Stéphanie Villemin (ex LR) à Colmar et Hélène Hollederer à Schiltigheim.
Soutenir des « non marcheurs »
Les affiches d'Alain Fontanel (LREM) sont régulièrement couvertes de slogans contre la politique nationale menée par Emmanuel Macron. Photo Robin Magnier
Parallèlement, dans toute la France, LREM a offert son soutien à 303 aspirants à la mairie appartenant à d’autres formations, qu’elle estime être « Macron-compatibles ». C’est le cas à Mulhouse, à Cernay, à Illkirch et à Bischwiller, où les candidats ne font pas partie du mouvement mais peuvent se targuer d’un appui des macronistes. Un élargissement de l’attribution de la « marque LREM » aux personnalités issues des partis traditionnels, formidable étiquette malléable pour En Marche : sans être investis LREM, ces candidats sont à la fois « dedans et dehors ». Et si le parti au gouvernement se rend compte qu’il a misé sur le mauvais cheval, l’étiquette sera minimisée.
Une stratégie qui met à mal le renouvellement politique promis par LREM. Pourtant, aux législatives de 2017, 95% des candidats du nouveau parti qui étaient investis n’étaient pas des députés sortants, permettant un réel changement des profils à l’Assemblée. Mais si le dégagisme avait fait ses preuves à la présidentielle et aux législatives, les municipales sont une autre paire de manches pour le parti, à la fois trop vieux pour se prétendre anti-système et trop jeune pour se trouver implanté dans les communes.
Une politique du coucou
En s’appuyant sur des figures installées plutôt que sur des « marcheurs » de la première heure issus de la société civile mais inconnus localement, le parti peut apposer son étiquette plus largement. À l’instar de Jean-Lucien Netzer, maire de Bischwiller estampillé MoDem, qui brigue un nouveau mandat. « J’ai demandé le soutien de LREM simplement parce que mon ami, le député Vincent Thiebaut (LREM), me l’a proposé, explique le quinquagénaire, ancien syndiqué CFDT. Je ne suis pas En Marche. J’ai accepté, parce que j’accepte le soutien de tout le monde. »
Une « politique du coucou », dénonce une partie de l’opposition. « Incapable de composer des listes crédibles sur le territoire national, LREM préfère souvent soutenir cyniquement des maires qui mènent pourtant des politiques diamétralement opposées, pour pouvoir présenter des victoires qui ne seront pas les siennes », déclarait ainsi le premier secrétaire du PS, Olivier Faure en décembre dernier. Tel l’oiseau qui occupe le nid d’autres espèces en y pondant ses propres oeufs pour profiter du gîte et du couvert, le parti au gouvernement courtise des candidats issus des différents partis, pour qu’ils enfilent le maillot du « marcheur ».
Les Gilets jaunes prennent souvent pour cible les permanences des candidats etiquetés LREM. Photo Hugo Bossard
Des candidats soutenus par plusieurs partis
Un soutien élastique qui peut créer des situations incongrues. À Illkirch, le principal adversaire au maire sortant, Thibaud Philipps, est adhérent Les Républicains (LR). Pourtant, il bénéficie d’une triple étiquette pour les élections à venir : LREM et le MoDem lui ont offert leur appui.
Côté Haut-Rhin, la liste pour Mulhouse de Lara Million se trouve elle aussi « multi-supportée » par le « nouveau » et « l’ancien monde ». LREM d’abord, mais aussi le MoDem, le PS, Agir, le parti animaliste et le mouvement écologiste indépendant. « C’est une liste de rassemblement », affirme l’ancienne de LR. Un argument martelé par tous les candidats portés par LREM en Alsace. Qui dans les faits, illustre bien la « realpolitik » conduite par les partis, bousculés par les transformations de l’échiquier politique.
Résultat : les « marcheurs » ne sont majoritaires dans aucune des listes soutenues ou investies par le parti d’Emmanuel Macron en Alsace. « Tous n’ont pas adhéré au mouvement », explique Stéphanie Villemin, investie à Colmar. De même pour la liste d’Alain Fontanel, où les macronistes sont moins nombreux que les personnalités politiques issues de la droite ou de la gauche. « On est ouvert à beaucoup de partis », soutient sa numéro 2 Laetitia Hornecker, qui se définit comme « apolitique ». A Schiltigheim, la candidate Hélène Hollederer précise que « les militants LREM sont minoritaires ». Et à Cernay, Christophe Meyer insiste : « Nous ne sommes pas en Marche. Il y a même pas mal 'd’anti en Marche’ dans la liste. »
En marche, mais pas trop
Lui a bâti sa carrière politique dans cette petite commune du Haut-Rhin, qui ne dépasse pas les 12 000 habitants : « Toujours sans étiquette. A chaque fois, on me le reprochait et m’associait à des partis ». Las, il s’inscrit en 2016 sur la plateforme web d’en Marche, intrigué par le mouvement qui entend « rapprocher tout le monde, de droite comme de gauche ».
Sans pour autant s’y engager, il obtient l’été dernier le soutien du parti pour sa candidature aux municipales. L’objectif, assure-t-il : qu’on l’identifie clairement comme centriste. « Mais ici, une affiliation politique est nulle et non avenue, c’est un vote de proximité. » Pourtant, il a formellement demandé ce soutien de LREM à la commission d’investiture. « C’est vrai que je suis fier d’être reconnu par Paris et par le gouvernement », admet le quinquagénaire. Partout, les candidats qui ont demandé le soutien y trouvent leur compte.
Pour porter son projet à Colmar, Stéphanie Villemin s’est battue pour l’investiture de LREM, qu’elle a obtenue aux dépens de son ancien collègue Tristan Dénéchaud - aujourd’hui- tête de liste MoDem. A Mulhouse, Lara Million assure que la maire sortante a elle aussi demandé le soutien du parti au gouvernement, sans succès. « Le fait de l’avoir obtenu pourra ouvrir des portes pour Mulhouse si je suis élue maire », s’enthousiasme-t-elle. De son côté, Hélène Hollederer (Schiltigheim) ne cache pas que l’étiquette LREM lui a apporté une certaine notoriété. « Cela m’a permis de participer à un débat sur France 3 ! », sourit-elle.
« L’étiquette est dure à porter »
Pourtant, beaucoup de candidats se détachent désormais de cette affiliation. À Strasbourg, le local de campagne d’Alain Fontanel, cible régulière des Gilets jaunes, se voit couvert d’autocollants aux slogans anti-Macron après chaque manifestation. « Les gens font un amalgame entre campagne municipale et nationale », regrette Laetitia Hornecker, la numéro 2 du candidat. De fait, Strasbourg est une ville stratégique pour le parti d’Emmanuel Macron qui peine à s’imposer dans toutes les autres grandes villes françaises. « L’étiquette est dure à porter », admet un membre du groupe En Marche au conseil municipal qui souhaite rester anonyme.
Qu’ils soient investis ou soutenus, tous évoquent des pressions. « Quand des Gilets jaunes débarquent aux réunions, ce n’est pas simple », explique Stéphanie Villemin (Colmar). « Les candidats m’attaquent là-dessus, disent que j’ai été parachutée », enchérit Hélène Hollederer (Schiltigheim). Christophe Meyer a été identifié « comme le gars en Marche du coin » à Cernay. « Je me retrouvais soudain responsable de la réforme des retraites !, s’exclame-t-il. Si demain je suis élu, certains vont dire que la ville est tombé aux mains de LREM. C’est faux ! » Sur son affiche ou dans son programme, insiste-t-il, aucune allusion au parti du gouvernement, à qui il « ne doit rien ». Comme les autres candidats alsaciens soutenus, il refuse qu’on lui colle uniquement l'étiquette en Marche.
Marine Godelier