Avec son sourire charmeur et son aisance en public, le candidat de la droite veut se faire une place parmi les favoris de l’élection du 15 mars. Et cherche à faire oublier qu’il est un pur professionnel de la politique, grâce à un storytelling bien travaillé.
Jean-Philippe Vetter n'hésite pas à se montrer sur les marchés et faire campagne en public.
Au débat entre les principales têtes de liste pour la mairie de Strasbourg, mercredi soir, on n’a pas reconnu le jeune poulain surexcité, croisé deux semaines plus tôt sur le marché de Hautepierre. À l’époque, Jean-Philippe Vetter serre des mains à tout va (« Allez, le coronavirus on s’en fout ! »), fond sur le moindre porteur de jogging (« Vous êtes sportif ? Vous savez, moi j’ai fait STAPS ! »), et s'émerveille de tout jusqu’à la transe (« Ici, c’est le meilleur marché de France »).
« La tornade Vetter »
Le dynamique candidat LR donne alors l’impression d’être parfaitement à l’aise avec le terrain (« Moi, j’aime les gens et ça se voit »), quand son concurrent Alain Fontanel (LREM), aussi raide que poli, est un habitué des silences embarrassés. Surtout, le conseiller municipal d’opposition mène son train sur un rythme effréné, au point qu’on a d’abord imaginé titrer ce portrait « la tornade Vetter ».
Mais en fait de tornade, ce mercredi soir, sur le plateau de France 3, Vetter fait l’effet d’un tiède sirocco. Il a préféré joué la partition du candidat sérieux, aussi calme que souriant, la voix posée, basse, peut-être même un peu trop. Pour un peu, on l’aurait confondu avec Alain Fontanel, la tête de liste de la République en Marche, loin devant lui dans les sondages - le premier adjoint sortant est crédité de 27% des intentions de vote dimanche, quand Vetter accuse les 15%, et la dernière place d’une éventuelle quadrangulaire.
Valeur travail
Face à une dynamique qui ne prend pas, le jeune premier a-t-il voulu montrer qu’il avait les épaules pour le job, et adopter un train sénatorial, quitte à perdre de sa singularité ? Dans tous les cas, le candidat LR n’a pas déroulé ce mercredi soir l’habituel storytelling dont il rebat pourtant les oreilles de qui veut l’entendre depuis près d’un an et demi de campagne. Un récit de sa vie qui s’étale sur son site Vetter 2020 en un interminable diaporama de 26 photos commentées.
Jean-Philippe Vetter a été assistant parlementaire de Fabienne Keller de 2011 à 2017 mais ne l'a pas suivi quand elle a crée son mouvement Agir !
On peut y découvrir ce qu’il confie à tous sur le marché et dans les réunions publiques : « Je viens d’un milieu populaire, mon père était boulanger, il est orphelin. » S’ensuit la comptine classique de la droite sur la valeur travail et le mérite : « Mon père n’hésitait jamais à se lever de table pour servir un client. » De quoi charmer les commerçants, qu’il cajole dans son programme, en promettant par exemple le stationnement gratuit entre midi et deux. S’il met l’accent sur ses origines familiales, Vetter fait moins l’étalage de sa vie conjugale – à la différence de son concurrent dans le rôle du gendre idéal, Alain Fontanel. Le candidat LR, contact facile, sourire charmeur et brushing impeccable, a certes moins besoin de paraître humain aux yeux des électeurs que le premier adjoint sortant.
L’argument sportif
Pour engranger les voix, Jean-Philippe Vetter mise aussi sur son passé de sportif. « Chaque fois que je suis entré sur un terrain de tennis, c’était pour gagner », a-t-il métaphorisé sur le plateau de France 3. Titulaire d’une maîtrise en STAPS, il renvoie une image de battant : « Il a remporté l’investiture de LR au tie-break [un jeu décisif lors d’un match de tennis NDLR] », souffle d’admiration son ami Thierry Roos, ancien camarade de parti ayant rejoint la liste marcheuse en 2019.
De son parcours de joueur de tennis – avorté pour cause de tendinite à 18 ans – il tire argument pour séduire les électeurs de la Robertsau. Mais pour draguer les quartiers populaires, il affiche sa proximité avec Marc Keller, le patron du Racing de Strasbourg. Loin des médias, il arpente aussi les terrains de foot. Lors du World café de Hautepierre, le 13 février, Ali-Martin Lamri, président de l’association cronenbourgeoise Au Carrefour des idées, lui en a su gré publiquement : « Vous, Monsieur Vetter, vous êtes venus nous voir il y a un an sur le terrain alors qu’aucun autre candidat n’est venu. » En privé, l’associatif qui a depuis rejoint la liste citoyenne de Patrick Arbogast (divers), évoque un « mec sympa, vraiment intéressé par le sport ».
Pro de la politique
Vetter se raconte comme un Alsacien du terroir : « Je ne viens pas d’en haut, je n’ai pas fait mes gammes à Paris », écrit-il sur son site à propos de son passé militant à l’UMP, commencé en 2004. Contrairement à Alain Fontanel, énarque et ex apparatchik du parti socialiste à Solférino, qui fait office de cible régulière : « Il y en a qui pensent que Strasbourg, c’est le quai des Bateliers », glisse-t-il sur le marché de Hautepierre, en référence au QG de campagne du candidat macroniste, situé en plein centre-ville. Un scud un peu bas : au même moment, son concurrent tracte au marché de Neudorf, un autre quartier populaire de Strasbourg.
À lire son autobiographie sur son site et à l’entendre en campagne, on en oublierait presque que Vetter est un professionnel de la politique. À se demander s’il sait faire autre chose : assistant parlementaire de la sénatrice Fabienne Keller de 2011 à 2017, il essaie, en vain, de créer sa start-up, pointe au chômage pendant un temps, et revient dans les jupons de sa famille politique un an plus tard. Laquelle lui retrouve un travail d’assistant parlementaire, cette fois du député européen LR Geoffroy Didier, réélu en 2019.
Keller or not Keller ?
La fidélité nourricière de son parti peut-elle expliquer pourquoi ce partisan de Fabienne Keller, plutôt centriste de formation, n’a pas suivi son mentor lorsqu’elle a créé son mouvement Agir ? Lequel soutient aujourd’hui la candidature d’Alain Fontanel : « C’est un repositionnement idéologique qui n’est pas en cohérence avec ses combats passés », considère Pierre Jakubowicz, chef de file d’Agir en Alsace et ancien collaborateur de la maire de Strasbourg, quand Vetter était, lui, son assistant parlementaire. Neuvième sur la liste de Fontanel, Jakubowicz s’étonne de voir son ancien collègue frayer désormais avec « des gens comme Jean-Philippe Maurer ou Jean-Emmanuel Robert, auxquels il s’est opposé et qui appartiennent à une droite plus dure que lui ».
Le candidat revendique un programme long comme le bras.
En 2017, Les Républicains ont connu à Strasbourg les mêmes tiraillements que partout en France, lorsque Emmanuel Macron a pris un rejeton d’Alain Juppé comme Premier ministre. Devant l’hymen qui se profilait au conseil municipal entre une partie de l’opposition de droite et la majorité de Roland Ries acquise aux Marcheurs, une bande de LR a décidé de faire scission. Et de créer un nouveau groupe politique, « sans même prévenir Jean-Philippe Vetter de la formation du nouveau groupe, croit savoir Thierry Roos. Ils ont cherché à se démarquer de Fabienne Keller dans l’optique des municipales à venir. » Jean-Philippe Vetter est donc resté avec les centristes kellériens, et siégeait jusqu’à présent dans un groupe Agir-LR-MoDem, dont tous les membres applaudissent aujourd’hui Fontanel - à l’exception de lui-même, de Martine Calderi-Lotz, qui ne s’est pas prononcée… et de Fabienne Keller, murée dans un silence prudent sur les brigues strasbourgeoises, mais tout sourire auprès de la candidate LREM de Schiltigheim lors de la journée du 8 mars.
Une liste composée avec les barons de la droite locale
C’est pourtant Jean-Philippe Vetter qui a remporté la commission nationale d’investiture des Républicains en octobre, contre Jean-Philippe Maurer, de vingt ans son aîné, ancien député entre 2007 et 2012 et implanté depuis des lustres à la Meinau. « Il a réussi à rassembler derrière lui sa famille politique », lui reconnaît Thierry Roos. En ménageant, certes, des places de choix sur sa liste aux barons de la droite locale : Maurer en troisième position, Pascal Mangin, conseiller régional en numéro cinq, Jean-Emmanuel Robert en septième, juste avant Pascale Jurdant-Pfeiffer, vice-présidente du conseil départemental. Que des noms bien connus de la droite alsacienne. « Manque de renouvellement », fustige Thierry Roos ; « Solidité, lui oppose Vetter. J’ai fait le choix de l’expérience et de la compétence, des personnes qui puissent se mettre au travail dès maintenant. »
Ce qui n’empêche pas Maurer, son ancien rival, de garder un je-ne-sais-quoi de chafouin quand on l’interroge sur sa tête de liste. Tout juste concède-t-il à son camarade « une campagne très dynamique », avant d'ajouter : « Ce n’est pas un mystère, j’ai une certaine notoriété à la Meinau ; lorsque j’y vais avec Jean-Philippe Vetter, c’est un peu la même chose que lorsque que Mathieu Cahn allait à Hautepierre avec son colistier, Serge Oehler, bien plus connu dans ce quartier. » Un parallèle entre sa tête de liste et l’ex candidat du PS, l’ectoplasmique Mathieu Cahn, débranché de son investiture début février à la suite des révélations de Mediapart sur son passé de photographe érotique, et qui a dû laisser la place à sa seconde, Catherine Trautmann.
Voitures brûlées et parkings
Pourtant, des gages à sa famille conservatrice, le candidat LR a eu à cœur d’en donner. À coups de tracts tapageurs sur les voitures brûlées du Nouvel-An, ou de grands projets de parkings souterrains sous la Grande-Île, Jean-Philippe Vetter n’a eu de cesse de déplacer le curseur vers la droite. Pour se rapprocher de l’électorat d’extrême droite ? Si la catastrophique candidate du RN, Hombeline du Parc, reste sous la barre des 10% au premier tour, la tête de liste LR disposerait certes d’une réserve de voix non négligeable pour le second tour.
Veut-il plutôt monnayer à prix d’or une alliance avec Alain Fontanel pour le 22 mars ? Il y retrouverait certes ses anciens amis kellériens, mais également nombre de transfuges du PS avec lesquels ses colistiers de droite n’ont pas pour habitude de casser la croûte.
Lui ne souhaite pas s’exprimer sur d’éventuelles tractations. À quelques jours du premier tour, Jean-Philippe avait l'intention de renouveler sa « journée marathon » de juillet 2019 : pendant 24 heures, partager la vie de travailleurs strasbourgeois, du boulanger aux veilleurs de nuit en passant par les enseignants. Las, le stage de découverte, bienvenu pour ce professionnel de la politique, a dû être annulé pour cause d'allocution présidentielle.
Nicolas Massol