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La longue marche des conservateurs français vers leur famille européenne


28 mars 2008

2009, année décisive

Du MPF de de Gaulle à l'UMP de Sarkozy, en passant par Chirac, la droite conservatrice a mis 40 ans pour jeter pièce à pièce ses habits souverainistes aux orties.

De Gaulle côté pile, tel qu'on le connaît: un souverainiste. Son action la plus symbolique est la «politique de la chaise vide». Pendant six longs mois de 1965, les Français sont absents de la table européenne. Objectif: conserver l'unanimité dans les décisions européennes. Car pour le général, «il ne peut pas y avoir d'autre Europe que celle des Etats». Autrement dit, la construction européenne ne doit pas empiéter sur la souveraineté française. La France est plus influente dans l’Europe, mais la France ne doit pas perdre ses capacités de décision.
De Gaulle, côté face, c'est un européen convaincu. L'Europe facilite, à ses yeux, la réconciliation franco-allemande. La mise en place d’un marché commun doit aussi permettre à l’industrie française de se moderniser, selon le général. La politique agricole commune ne peut que profiter aux paysans français. Le président espère aussi que l’Europe devienne une « troisième force », dans ce monde polarisé entre les Etats-Unis et l’URSS. De Gaulle veut une « Europe européenne », c’est-à-dire indépendante des Américains. D'où son veto à l’entrée des Britanniques dans le marché commun, le président estimant que le Royaume-Uni est trop lié aux Etats-Unis. Il faudra attendre l'élection de Georges Pompidou pour voir le Royaume-Uni adhérer à la CEE.

La mutation de Jacques Chirac

Le président libéral et pro-européen Valéry Giscard d’Estaing nomme Jacques Chirac Premier ministre en 1974. Deux ans après, le torchon brûle entre les deux leaders. Chirac démissionne et crée le Rassemblement pour la République (RPR). Il revendique l’héritage de de Gaulle et lance en 1978, à la veille des premières élections au suffrage universel direct, l’appel de Cochin, violemment anti-européen. « Tout nous conduit à penser que, derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l'inféodation de la France », estime celui qui était alors Maire de Paris. L’UDF est dénoncé comme « le parti de l’étranger ».
« L’appel de Cochin est un acte de politique intérieure », explique Jean-Claude Gaudin. Chirac utilise la question européenne pour se différencier de l’UDF. Gaudin poursuit : « Et c’est un flop ». Aux élections européennes de 1979 la liste de Chirac arrive en quatrième position, avec 16% des voix. Au Parlement européen, ses 15 élus forment le noyau dur du très nationaliste Groupe des Démocrates Européens de Progrès (DEP).
Derrière Mitterrand et Giscard à la présidentielle de 1981, Chirac change alors de stratégie. Le positionnement eurosceptique du RPR n’est pas payant électoralement. En plus, UDF et RPR ont désormais un adversaire commun : le pouvoir socialiste. Aux européennes de 1984, les « meilleurs ennemis » présentent une liste commune, conduite par Simone Veil, qui obtient 42,9% des voix. Chirac a lissé son discours sur l’Europe. Mais à Strasbourg, UDF et RPR font bande à part. Les premiers rejoignent les libéraux de l'ELDR; les seconds restent dans leur bastion nationaliste, rebaptisé Rassemblement des Démocrates européens (RDE).
En 1986, après les élections législatives remportée par son parti, Chirac est nommé Premier ministre de Mitterrand. Le député UMP Hervé Mariton relève: « La responsabilité assumée par le RPR l'oblige à se convertir à l'idée européenne. Quand vous êtes au pouvoir, vous êtes obligés de jouer le jeu européen.»

Maastricht s’invite

1988 : c’est la deuxième défaite de Chirac à l’élection présidentielle (avec 46% des voix au deuxième tour). Les dissensions se font jour au RPR. Avec comme point d’orgue les discussions sur le traité de Maastricht en 1992. Après une longue hésitation, le président du RPR choisit un « oui sans enthousiasme mais sans état d’âme ». Mais le RPR ne donne pas de consigne de vote. Alain Juppé et Edouard Balladur choisissent le Oui. Philippe Séguin et Charles Pasqua se lancent dans la campagne contre le traité. La moitié des militants du RPR glissent dans l'urne un bulletin « non ». Après une campagne rude, le traité est adopté avec 51% des voix.
Une date clé, selon le député UMP Thierry Mariani:

«Certains disent que Chirac est devenu pro-européen par conviction, d’autres parce que c’était indispensable pour devenir président», souligne le député du Nouveau Centre Charles de Courson. Chirac est élu à l'Elysée en 1995. La même année à Strasbourg, le RDE, où siègent les élus du RPR, fusionne avec Forza Italia et devient le groupe Union pour l'Europe (UPE). L’influence des souverainistes Pasqua et Séguin reste forte. Ce dernier arrache même la présidence du RPR en 1997. On est alors en plein débat sur le traité d'Amsterdam. Séguin ne se prononce pas sur le traité; Pasqua demande un référendum : « Que serait le RPR, issu du gaullisme, s'il ne défendait pas la souveraineté nationale? »

De la débâcle à l'Union

Pasqua n'obtient pas gain de cause et quitte le RPR. Aux élections européennes de 1999, il se présente avec Philippe de Villiers contre la liste de l'Union pour l'Europe menée par Nicolas Sarkozy, regroupant RPR et Démocratie Libérale. Ils la devancent. Pour Pasqua, c'est une victoire, mais à l'extérieur du RPR.
C'est le dernier coup d'éclat des eurosceptiques, largement aidés par la défection de la tête de liste RPR Philippe Séguin. «A partir de ce moment-là, Pasqua et Séguin ne jouent plus des rôles de premier plan dans le parti», souligne Thierry Mariani. Les souverainistes ont perdu la bataille au sein du mouvement néo-gaulliste.
D'autant plus que le débat s’engage pour former un parti rassemblant toutes les forces de la droite, des centristes aux conservateurs. La coalition électorale des européennes 1999 montre la voie: à Strasbourg, UDF et RPR se regroupent au sein du Parti Populaire européen (PPE).
L’Union pour la majorité présidentielle, qui deviendra l’Union pour un mouvement populaire, est créée en 2002. UDF et RPR, qui s’opposaient sur la construction européenne, sont désormais ensemble au sein de l’UMP. Une coalition hétéroclite, rappelle Thierry Mariani.

Restent au sein de l'UMP quelques voix dissonnantes. Nicolas Dupont-Aignan, ancien de l'UDF qui se veut l'héritier des valeurs du Général, se présente à la présidence de l'UMP contre Alain Juppé. Battu (avec 15% des voix), il crée son courant «Debout la République» en 2003 et quitte l'UMP début 2007. «Il y a encore quelques archéos anti-européens à l’UMP, mais notre parti est avant tout pro-européen», assure le député Claude Goasguen. L'UMP s'ancre dans le PPE. Depuis 2004, à Strasbourg, la droite souverainiste n'est plus représentée que par Philippe de Villiers.

Christophe Zoia, à Paris

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