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Mais la législation présente une faiblesse : elle ne s’applique qu’aux procédures transfrontalières. Cela représente moins de 10% des poursuites-bâillons identifiées en Europe d’après le Case. « Le texte a le mérite d’exister, mais reste très restreint dans son champ d’application » admet l’eurodéputée Manon Aubry (The Left, extrême-gauche).

Pour les médias et les activistes, les dépenses liées à un procès (honoraires d’avocat, frais de déplacement, etc.) peuvent coûter cher, surtout s’ils sont indépendants. Avec la nouvelle législation, si une procédure-bâillon est reconnue, la juridiction saisie pourra obliger le requérant à rembourser ces frais de justice. Parallèlement, si le défendeur estime avoir subi un préjudice du fait de cette procédure, il pourra introduire une action en dommages et intérêts. 

Une législation avec des failles

D’après le Case, plus de 70% des poursuites-bâillons correspondent à des procès pour diffamation la plupart du temps contre les journalistes, des médias ou des activistes. Des hommes d’affaires ou des grosses entreprises forcent le silence des personnes grâce à la menace d’une condamnation et cherchent à les épuiser financièrement. La représentante de Reporters sans frontières (RSF) Julie Majerczak avertit : « Il y a un vrai déséquilibre financier entre les puissants et les journalistes contre qui sont dirigées beaucoup de procédures judiciaires ».

L'eurodéputé Tiemo Wölken, rapporteur de la législation sur la protection des journalistes et des défenseurs de droits humains contre les poursuites-baillons. © Emma Fleter

Selon un rapport du collectif associatif Case (Coalition Against Slapps in Europe) publié en 2023, le nombre de poursuites-bâillons a augmenté de façon exponentielle en Europe entre 2010 et 2022. L’organisme comptait seulement 4 cas en 2010, contre 26 en 2016 et 161 en 2022. Un record. La Pologne, Malte et la France sont les pays européens où le nombre de poursuites-bâillons a été le plus élevé ces dix dernières années. Dans l’Hexagone, l’homme d'affaires Vincent Bolloré est un professionnel en la matière. En 2021, le média Arrêt sur images recensait 11 poursuites judiciaires intentées en 11 ans par les groupes du milliardaire contre les médias (France info, Mediapart, France 2). Aucune n’a abouti à une condamnation.

Phénomène inquiétant en expansion 

« Les poursuites-bâillons sont des formes de harcèlement et d’abus de la justice. Pour la première fois, nous avons une définition de ce type de pratiques », se félicite l’eurodéputé Tiemo Wölken (S&D, sociaux-démocrates). Jusque-là, il y avait un vide juridique et législatif dans le droit européen. Le nouveau texte reconnaît désormais les poursuites-bâillons comme « des procédures judiciaires engagées par des puissants » (entreprises, particuliers, personnalités politiques) contre des citoyens ou des groupes « dans le but de brider le débat public ». 

La justice peut-elle être un outil contre la liberté d’expression ? « Oui », ont répondu en grande majorité les eurodéputés réunis à Strasbourg le 27 février. Le Parlement a adopté sa première législation contre les poursuites-bâillons ou SLAPP en anglais (Strategic Lawsuits Against Public Participation). Elle entend protéger les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme contre ces procédures judiciaires abusives qui visent à les réduire au silence.

Le 27 février, le Parlement européen a adopté une législation contre les poursuites-bâillons. Ces procédures judiciaires abusives sont de plus en plus utilisées par des responsables économiques ou politiques en Europe pour intimider des journalistes et activistes. La reconnaissance de ces poursuites marque une étape importante, mais la législation est encore limitée.

C’est dans un climat un brin anxiogène que s’est ouverte cette deuxième session plénière de 2024. L’approche des élections européennes occupe tous les esprits et la menace de voir l’extrême droite dominer l'hémicycle est un cauchemar pour le consensus européen. Dans le même temps, la guerre en Ukraine est toujours aux portes de l’Union et la menace extérieure n’a jamais autant pesé sur la stabilité du continent. Dans ce contexte, les eurodéputés ont marché sur des œufs. 

La crise agricole a été au cœur de leurs préoccupations. Après plusieurs semaines de manifestations d’agriculteurs à travers l’Europe, les députés étaient attendus au tournant. Soudainement, les revendications pour des revenus décents et des normes écologiques moins contraignantes sont devenues un enjeu crucial : celui d’apaiser la colère des manifestants. Une colère, qui est pourtant restée vive chez certains paysans et écologistes, suite à l’annonce du Parlement en milieu de semaine d’autoriser la commercialisation de nouveaux végétaux génétiquement modifiés.

Outre le mal-être agricole, les eurodéputés se sont aussi inquiétés du délitement de la démocratie européenne. C’est d’abord vers la Grèce que se sont tournés les regards, pour acter les défaillances de l’Etat de droit dans un pays qui occupe désormais une triste 107e place au classement mondial de Reporter Sans Frontière sur la liberté de la presse. Puis, ce fut au tour de la Russie et de ses tentatives d’ingérence dans le processus décisionnel de l’Union d’être épinglées, suite aux révélations sur une eurodéputée lettone accusée d’avoir été une espionne à la solde de Moscou. Les eurodéputés ont également réaffirmé leur soutien envers l’Ukraine, en approuvant une aide exceptionnelle de 50 milliards débloquée par les 27. Malgré les dissensions politiques internes, l’Union européenne continue à faire bloc face à la Russie de Poutine et on ne peut s’empêcher d’y voir là, au regard de l'histoire, les traces d’une “guerre froide” encore vives. 

Léa Bouquet

 

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