Quartier prioritaire de la Ville depuis 2015, le sud du secteur Gare devait bénéficier d’aides économiques. Les promesses peinent à se concrétiser.
Comme chaque midi depuis 2012, N’Guyen Anza s’affaire à essuyer les derniers verres du service, derrière le grand comptoir de sa brasserie Au Gobelet d’Or, en plein cœur du quartier de la Laiterie. Il connaît bien ce secteur puisque ses parents ont repris le restaurant en 1988. “Oui, je sais qu’on est dans un quartier prioritaire mais je n’ai jamais reçu d’aides de la part de la Ville, en tant que commerçant”, confie N’Guyen Anza. Il n’aurait pas refusé une aide pour remplacer prochainement les immenses baies vitrées, typiques mais vieillottes, de son établissement. Ce sera sur ses deniers propres.
Le quartier de la Laiterie, de 13 hectares et 3 500 habitants, est classé depuis 2015 comme “Quartier prioritaire de la politique de la ville” (QPV). Ce dispositif national vise à rendre plus attractives des zones socialement défavorisées. Pour atteindre cet objectif, trois piliers sont fixés : la cohésion sociale, le renouvellement urbain et le développement économique. À l’échelle de la Laiterie, le programme a été établi dans le contrat de ville de l’Eurométropole, signé par 43 partenaires institutionnels. Sur le papier, l’ambition économique est clairement énoncée : “Soutenir les commerces et services existants”. Parmi les priorités alors envisagées : encourager la création d’entreprises, valoriser les devantures et créer une association de commerçants. Huit ans plus tard, le bilan est décevant.
La boucherie New Taybat, le garage Favopneu, l’épicerie Africain exotique, le restaurant Akabe… Premiers concernés par les promesses, ces petits commerçants n’ont jamais entendu parler d’aide envisagée. Et rares sont ceux qui sont au courant d’être dans un quartier prioritaire et ce qu’il en retourne. Ils étaient pourtant déjà là en 2015, mais rien n’a changé. “On avait lancé une newsletter, on a envoyé des courriers, avec retour de signature, concernant deux réunions avec les commerçants du QPV”, défend Christelle Ladenburger, chargée de mission sur le QPV Laiterie. Une communication visiblement sans grand succès.
Au Gobelet d'Or, N'Guyen Anza enregistre une baisse de fréquentation.
© Zoé Dert-Chopin
La boucherie de New Taybat a ouvert les portes de son établissement il y a 27 ans. © Carla Génévrier
Soutenir les auto-entrepreneurs
À défaut de subventions, l’Eurométropole et ses partenaires tentent bien d’encourager des résidents de QPV à se lancer dans l’aventure de l’entreprenariat. L’accès au crédit devient par exemple plus facile. Pour ceux qui ont un projet, il y a CitésLab. Fruit du partenariat entre l’Eurométropole et l’agence de conseils Tempo, ce dispositif accompagne toutes les étapes de la création d’entreprises. L’objectif est de pérenniser ces projets au sein du QPV. En réalité, au moment de se lancer “tous (les entrepreneurs, ndlr) ont en tête un jour de quitter le quartier ”, reconnaît Matthieu Bolot, chargé de mission à CitésLab, en parlant des 19 habitants de la Laiterie qu’il a accompagnés de 2017 à aujourd’hui. Mais si les gens veulent partir, pourquoi passe-t-on de 120 entreprises à 156 à la Laiterie, entre 2015 et 2019, d’après l’Insee ? “Enormément d’auto-entrepreneurs travaillent de chez eux ”, ajoute Matthieu Bolot. Si une trentaine d’entreprises tiennent une vitrine, 85,3 % d’entre elles sont belles et bien invisibles.
Redonner un coup de neuf aux vitrines des boutiques faisait partie des objectifs pour le QPV Laiterie. Aucun des intéressés rencontrés n’en a profité jusqu’à présent. Pourtant, l’état de certaines devantures reflètent les difficultés des commerces du quartier.
Des commerçants ont décidé de les moderniser par leurs propres moyens, à l’image de la boulangerie centenaire Blédor. Amine Némard et son établissement Délicious Food sont, eux, installés rue de Molsheim depuis 2018. Déçu du manque de fréquentation, le gérant pense déjà à s’en aller. Et les travaux entamés depuis novembre sur le boulevard de Lyon ne semblent pas aider. “Heureusement que j’ai une clientèle fidèle”, soupire un manager du fast-food Akabe, qui voit le manque de places de parking comme un frein supplémentaire au pouvoir d’attraction du secteur.
Pas d'association de commerçants
Quant à l’association de commerçants du quartier, elle n’a pas vu le jour. Christelle Ladenburger admet que “pour la mise en place d’un réseau des commerçants, il y a encore du travail” À propos du développement économique, elle nuance : “Tout n’est pas encore enterré. On avait fait une étude du tissu économique du quartier Gare-Laiterie en 2018-2019, mais faute de moyens humains il n’a pas été possible de poursuivre ce travail. On a répondu à d’autres urgences, notamment depuis 2020 (du fait de la crise Covid, ndlr).”
Si plusieurs habitants apprécient les efforts d'aménagement du QPV, concernant l'offre de commerces, ils attendent mieux. D’après Yann, résidant depuis 20 ans, “les commerces du coin ne satisfont que le strict minimum” et regrette qu’il n’y ait pas davantage de vie de quartier et de lieux conviviaux, “comme des cafés”. “C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de commerces diversifiés ici”, regrette de son côté Baptiste, qui s’est installé il y a quatre ans. Huit ans après son classement en QPV, la Laiterie peine toujours au plan économique, et les entreprises en paient le prix.
Carla Génévrier et Zoé Dert-Chopin
© Zoé Dert-Chopin et Carla Génévrier