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Rue de Wasselonne à Strasbourg, la maison des Compagnons du Devoir attire de plus en plus de jeunes désireux d'apprendre un métier manuel. Derrière sa lourde porte en fer les apprentis atteignent l'excellence, mais seule une minorité fera le fameaux “tour de France”.

Dans l’atelier, les fouets sont à l’arrêt. Une dernière étape, la plus minutieuse, reste à accomplir. Un apprenti se concentre pour réunir en une seule sphère deux ovales en chocolat. Plus loin, un autre jeune presse une poche à douille pour détailler ses entremets. De délicates odeurs de cacao s’échappent de ces desserts. Dans l’atelier des Compagnons du Devoir, rue de Wasselonne, une dizaine d’étudiants s’affairent en cuisine. Ici, ils apprennent la pâtisserie. Un des douze métiers enseignés par la maison de Strasbourg. D’ici 2023, un bâtiment flambant neuf viendra augmenter de 40 places la capacité d’accueil de l’institution présente dans le quartier Gare depuis 71 ans.

On est une asso ouvrière qui fait de la formation où, en plus du savoir-faire, on a tout ce côté savoir-être, explique Florian Guehl, prévôt - équivalent d'un CPE - à seulement 23 ans. 

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Un apprenti se concentre pour réunir en une seule sphère deux ovales en chocolat. © Audrey Burla

Autour d’une table aux pieds en fer forgé façonnés par les Compagnons, il explique son rôle : assurer le lien avec les 500 entreprises partenaires en Alsace tout en gérant les 170 résidents. À ses côtés, Judith Fauvet, 21 ans, se forme à la pâtisserie depuis quatre ans, Je suis rentrée car j’étais passionnée par mon métier. Si je reste c’est pour ce qu’il y a autour : les valeurs et la communauté. Chez les Compagnons, l’entraide, le respect ou la politesse sont fondamentaux.

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Les éclats de rire rythment le cours de pâtisserie. 
© Audrey Burla

Huit années d'études pour devenir compagnon

Pour devenir officiellement Compagnon, il faut aligner jusqu’à huit années d’études, enchaîner les alternances dans différentes entreprises de l’Hexagone - le fameux “tour de France”. Il faut aussi réaliser un chef d’œuvre, une réalisation complexe preuve de son savoir-faire. Un parcours qui s’achève par la transmission, indique Florian Guehl : Un formateur a été apprenti, pareil pour un directeur.” Un moyen pour “compléter son cercle vertueux”. Tout le monde peut tenter de décrocher le graal mais seulement 4 % à 6 % des jeunes qui entrent dans la structure deviennent compagnons”, dévoile t-il.

Beaucoup se contentent de la formation de base, cet entre-soi ne faisant pas l’unanimité :  Pour rentrer sur le tour de France, il faut se faire adopter, rien que ce terme me déplaît! Matéo* est chez les Compagnons depuis trois ans en charpenterie mais ne souhaite pas devenir l’un des leurs :Pour moi, c’est un peu comme une secte.

Le prévôt de son côté s’en défend : Ça paraît très sectaire, on le comprend, c’est un circuit fermé. On nous voit avec des habits rituels, c’est visuel. Mais à la différence d’une secte, on n’oblige personne à rester.

Une rigueur militaire qui divise

La journée, on est en entreprise, le soir, on rentre, on mange tous ensemble et on retourne en cours de 20 h à 22 h, déplore Matéo. Les samedis sont également bien occupés jusqu’à 17 h, comme le revendique Florian Guehl : Ça parait lunaire de la part du monde extérieur mais on travaille de nous-mêmes.” Si le prévôt affirme que la vie se fait aussi en dehors de la maison, l’emploi du temps laisse peu de place au divertissement. Lucas*, apprenti menuisier, décrit : Les portes ferment à 22h30, même pour les majeurs. J’ai failli dormir dehors.

Les étudiants qui ne respectent pas les règles de l’établissement s’exposent à des sanctions, certifie Lucas : Une minute de retard en cours, dix pompes, c’est une tradition. Si on dit un gros mot dans la salle à manger, on doit mettre des sous dans une cagnotte.” Mathias*, en formation charpenterie, continue : Il y a eu pas mal de personnes virées pour pas grand-chose.

 

Après tu peux bosser n’importe où dans le monde

Une certitude que tout le monde partage : l’apprentissage dispensé aux Compagnons est de qualité. Matéo et Lucas ne le cachent pas, ils ont choisi d’y étudier parce qu’on y forme beaucoup mieux que dans des CFA normaux. Après, tu peux bosser n’importe où dans le monde.

Cette réputation a persuadé plus de 120 entreprises de l’Eurométropole à choisir des alternants issus de la maison strasbourgeoise. C’est le cas de la boulangerie Gare’mandise située place de la Gare. Son patron, Sylvain Ruhlmann, formé en partie chez les Compagnons, a décidé de se tourner vers l’institution : Ça aide d’être passé là-bas. Si on est dans le besoin, on appelle la maison. Les jeunes ont des profils très intéressants, ils ont cette philosophie d’aller plus loin.

 

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Apprenti manipulant la poche à douille pour détailler une planche en chocolat dans l’atelier. © Audrey Burla

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