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Derrière la gare, les fortifications témoignent de l'histoire militaire de Strasbourg. Le Cercle d’étude et de sauvegarde des fortifications de Strasbourg se mobilise pour préserver ces lieux.

La lourde porte métallique ne s’ouvre que deux ou trois fois par semaine. Dans la rue du Rempart, à Strasbourg, un panneau en bois arbore en lettres vertes “Bunker comestible”. Derrière d’épais murs de pierre, une forte odeur de terre saisit le visiteur. Sur les côtés de la champignonnière, des pleurotes poussent en amas sur des blocs en matière végétale. Dans l’allée centrale, une brume d’eau cache des shiitakés, une variété japonaise.

Dans cette ancienne poudrière tenue depuis 2020 par la Fédération des aveugles Alsace-Lorraine Grand Est, des déficients visuels se relaient pour cultiver et récolter les champignons, qu’ils revendent ensuite à des grossistes ou des restaurateurs.

Pleurotes et résidences d'artistes

L’obscurité, l’humidité et la température stable offrent un environnement idéal à cette culture. Au plafond, de puissants néons éclairent des allées spécialement élargies pour les personnes malvoyantes. “Dans des conditions optimales, on ramasse entre 60 et 100 kilos de pleurotes sur deux mois”, confie fièrement Fabien Simon, chef d’atelier.

Plus haut dans la rue, en direction du carrefour Wodli, le Bastion XIV accueille depuis 2004 une quarantaine d’artistes. Dans l’un des 20 ateliers, Baptiste Filippi grave du métal à l’acide, illustre un livre pour enfants et compose des musiques expérimentales. La Ville de Strasbourg l’a sélectionné à la suite d’un appel d’offres. “C’est pensé comme un accompagnement sur plusieurs années”, détaille-t-il. L’accompagnement est notamment financier : l’artiste a signé un bail renouvelable et paie un modeste loyer de 50 €. En échange, il doit présenter ses travaux au public une fois par an, lors des Ateliers ouverts.

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Baptiste Filippi devant l’entrée du Bastion XIV. © Eva Pontecaille

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Fabien Simon dans l’une des allées du Bunker comestible. 
© Eva Pontecaille

Attaquées par la rouille et les orties, certaines portes le long des 1,2 km de remparts restent fermées. Antoine Schoen possède les clés. Depuis 2016, il fait partie des 30 bénévoles du Cercle d’étude et de sauvegarde des fortifications de Strasbourg (CESFS) qui veut relancer l’intérêt touristique du site. En septembre dernier, lors des Journées du patrimoine, il a guidé près d’un millier de curieux sous l’impressionnante voûte d’une ancienne poudrière et à travers les trois étages du Centre de passage qui accueillait les militaires en attente d’affection lors de la Seconde Guerre mondiale (voir carte). Visiblement conquis, 150 visiteurs ont laissé des encouragements dans le livre d’or ouvert pour l’occasion.

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Antoine Schoen à l’entrée du Centre de passage dont il réalise les plans. © Eva Pontecaille

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© Thomas Bonnet

Préserver la ceinture verte

Fort de ce succès, le CESFS veut proposer des visites guidées mensuelles. Au dernier étage du Centre de passage, devant une porte condamnée qui menait auparavant sur le haut des remparts, Antoine Schoen imagine des balades de plusieurs heures et un parcours libre. Pour mener à bien ce projet, il aimerait créer une association pour convaincre la mairie que l’histoire peut être un levier pour dynamiser les fortifications. L’actuelle propriétaire d’une partie des lieux, classés Monument historique depuis 2009, a laissé le Bastion XV à la gendarmerie, qui l’utilise comme caserne lors de grands événements.

“On travaille sur le projet”, confirme Marie-Dominique Dreyssé, conseillère municipale chargée du quartier Gare. Elle préfère envisager les remparts plus globalement, comme “un lieu bon vivant” et respectueux des espaces verts. L’édifice fait partie de la ceinture verte, un cordon de végétation entourant le centre-ville. Un projet auquel la majorité écologiste, au pouvoir depuis 2020 semble donner la priorité, au détriment du patrimoine historique.

La gare, un quartier historiquement fortifié

Passée sous pavillon allemand après la guerre de 1870, Strasbourg voit ses fortifications des XVe et XVIe siècles modernisées entre 1872 et 1876. Pour donner de l’air au centre-ville, les ingénieurs éloignent les remparts de 5 à 7 kilomètres. Cette modernisation relève également d’une stratégie militaire avec l’ajout de 27 bastions, qui servent de logements aux soldats.

Derrière la gare, la partie ouest des remparts fait l’objet des aménagements les plus importants. Leur hauteur peut atteindre 16 mètres. La porte de guerre (Kriegstor II) en est un ouvrage majeur, mais elle n’a jamais fonctionné comme entrée de ville, en témoigne l’absence de grand boulevard. “Une douzaine d’hommes contrôlaient les allées et venues (en temps de paix, ndlr), détaille Antoine Schoen du CESFS. À l'avant, l’éventuel attaquant devait franchir une zone de 300 mètres et s’exposait aux tirs de l’artillerie placée au sommet des remparts. Ce “glacis” a donné son nom au parc dans lequel on trouve encore une caponnière blindée. Ouverte sur les côtés, elle devait défendre les abords de la porte. Les nombreuses poudrières stockaient près de 20 000 tonnes de poudre à canon.

À la fin des années 1990, l’armée a quitté les fortifications. Depuis, la mairie a récupéré la gestion de l’édifice.

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