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Le quartier de la Laiterie et sa rue du Hohwald offrent une concentration unique de lieux culturels à Strasbourg. Si les salles font le plein, les spectateurs ne s'attardent pas dans un quartier qui souffre de son image.

Est-ce que par ici quelqu’un veut boire quelque chose ?” Ce samedi soir, Jean-Luc Falbriard, le directeur de l’Espace K, théâtre d’humour à Strasbourg, est aux petits soins avec ses convives. C’est la deuxième fois que l’établissement présente au public son nouveau spectacle mensuel dédié au stand-up strasbourgeois, La Suite de l’Espace K.

À 22 h, le premier des quatre humoristes de la soirée, Najim Zni, s'avance sur scène dans la “salle des curiosités”, au milieu d’un décor chaleureux : guirlandes lumineuses, bougies, tapis et petites tables. “Le principe est simple : quand c’est drôle, on rigole et quand c’est excellent, on applaudit”, explique-t-il en faisant participer le public. “Ce soir, vous favorisez le spectacle vivant, à défaut de regarder la Star Academy ! Merci à vous”, se réjouit Najim. Vont s’enchaîner “l’incroyable et super” Margaux Lagleize, trentenaire qui livre le récit de ses expériences chaotiques avec les applications de rencontre, puis le déchaîné Benoît Luron et ses imitations délirantes, et enfin Matthieu Bartosz et son regard moqueur sur sa ville natale, Mulhouse.

Sur la centaine de personnes présente dans le public, les trois quarts ont d’abord assisté à la première partie de soirée, animée par des chansonniers, Les Fouteurs de joie. “On vient deux à trois fois par an à l’Espace K, on en a profité pour enchaîner les deux spectacles”, racontent Gilles et Marie, de Geispolsheim. L’avantage : payer la deuxième partie 3 € au lieu des 10 €, le plein tarif. Léa, la vingtaine, est venue de Koenigshoffen spécialement pour le stand-up sur les conseils d’une amie. C’est une première pour la jeune fille.

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L'entrée de la salle de spectacle n'attend plus que ses spectateurs. © Émie Stervinou

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Les humoristes invités pour La Suite de l'Espace K (de gauche à droite) : Najim Zni, Margaux Lagleize, Matthieu Bartosz et Benoît Luron. © Louise Rondel-Le Ninan

À 23 h 30, après une dernière salve d'applaudissements, les comédiens quittent la scène et les spectateurs, le quartier. Personne ne s’attarde. Les rues peu lumineuses du Hohwald et du Ban-de-la-Roche sont coincées entre les boulevards, la voie ferrée et l'autoroute à l'allure industrielle. Rares sont ceux qui empruntent le passage sombre et peu engageant pour rejoindre l’arrêt Laiterie, rue de Molsheim. En tram, en bus, à vélo ou en voiture, aussitôt arrivés, aussitôt repartis.

Faire l'effort de venir

C’est un espace minéral vide, personne ne s’en empare”, déplore Sylvie Darroman, chargée de l’accompagnement du public au Taps. Bien que le secteur regorge d’infrastructures dédiées au spectacle vivant comme l’Espace K et le Taps pour le théâtre ou la Laiterie et le Molodoï pour la musique, plus un seul bistrot aux alentours ne sert à cette heure. “On a dû changer les horaires de nos représentations, passant de 20 h 30 à 20 h. Notamment pour que les bénévoles, le public et les artistes puissent avoir le temps de manger ailleurs une fois la séance terminée”, souligne Ludivine Meyer, chargée de la communication de l’Espace K.

Pour Marie-Dominique Dreyssé, conseillère municipale déléguée du quartier Gare, “c’est tout l’enjeu du secteur : développer son aménagement en termes de restaurants et de bars.” Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Des appels à projets ont été passés sous l’égide de la Ville en 2016 pour créer un café-restaurant au rez-de-chaussée du Hall des chars. Si des travaux ont été entrepris, il n’a jamais ouvert. “C’est en germe, assure l’élue, mais ce n’est pas en ouvrant un commerce que les choses changent.

À la place de l’immense cour inoccupée du Taps et de l’Espace K, Ludivine Meyer rêve d’un terrassement, de verdure ou d’un bistrot. Quant à la rue, “une zone piétonne serait la bienvenue pour tous les lieux culturels”, confie-t-elle. Certains Strasbourgeois rechignent même à venir en journée. “Pour les ateliers théâtre, les parents ont peur de déposer leurs enfants dans le quartier”, rajoute-t-elle.

Les spectateurs du Taps-Neudorf (Scala) ne viendront jamais au Taps - Laiterie, même si le spectacle est à 19 h”, insiste de son côté Sylvie Darroman. Pour tenter de remédier à la situation, la médiatrice propose le dispositif “Viens voir avec moi”. Il consiste à mettre en lien des spectateurs entre eux pour qu’ils soient accompagnés jusqu’au quartier Gare. Mais faute de visibilité, l’initiative ne rencontre pas le succès attendu. Même conclusion pour le quartier qui, malgré son potentiel et son public, demeure inanimé. 

Émie Stervinou et Louise Rondel-Le Ninan

© Émie Stervinou

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