Différents modèles d'économie sociale et solidaire coexistent au sein du quartier Gare. Des interrogations se posent quant à la pérennité de ces structures, toutes soumises à des contraintes financières.
Il est 11h30 aux Petites Cantines, rue Kuhn. Ils sont quatre en cuisine. C’est une grande première pour Naya qui participe à son premier atelier.“Les convives payent la contribution qu’ils souhaitent, il faut donner au moins un centime”, explique Jessica Poignard, co-responsable de l’établissement. En contrepartie, ils doivent contribuer à créer du lien social en étant actifs dans les discussions, en cuisinant ou en faisant la vaisselle.
Aux Petites Cantines, les participants aident à préparer le repas qu’ils mangent tous ensemble. © Mathilda Idri
“Pour être à l’équilibre, il faudrait réaliser 180 € de recettes à chaque service”, précise la co-responsable. L’association estime accueillir 15 à 20 personnes par service. Ses finances ont été mises à mal cet été et au moment de la rentrée, des périodes creuses. Une difficulté accentuée par l’augmentation des prix des denrées alimentaires (+ 11,8 % en un an), qui s’est répercutée sur le coût d’un repas.
Mais depuis mi-octobre, la situation semble “grandement s’améliorer”, d’après Somhack Limphakdy, membre du conseil d’administration des Petites Cantines, qui constate une hausse de la fréquentation.
Les subventions comme moyen de subsistance
Avec des rentrées d’argent aléatoires, la pérennité économique d’une association comme Les Petites Cantines dépend des subventions et des dons. Dans son cas, ils s’élèvent à 40 000 € par an. Ils proviennent, entre autres, de l’Eurométropole et d’agents privés (tels que AG2R, Malakoff Humanis ou la fondation Carrefour).
En 2022, le prix de l’immobilier dans le quartier Gare a fortement augmenté : + 12 % en l’espace de quelques mois. Mais Les Petites Cantines bénéficient d’un partenariat avec le bailleur social, Ophéa, qui leur permet d’être à l’abri d’une hausse brutale des loyers. Pour l’instant, celui de l’association s’élève à 1738 €. Jessica Poignard s’attend toutefois à une augmentation de ses charges, puisque les tarifs de l’énergie sont, eux aussi, en forte hausse.
Autre association sociale et solidaire installée dans le quartier, Carijou a bien failli fermer ses portes il y a quelques années à cause de problèmes financiers. Le magasin de jouets d’occasion n’est d’ailleurs pas sorti d’affaire. Son concept : vendre à bas prix des jeux pour les familles modestes. Son but est aussi de favoriser l’insertion : ses 13 employés bénéficient d’un CDDI (contrat à durée déterminée d’insertion), qui permet d’être formé et de travailler pendant deux ans. L’atelier de Carijou, situé dans le quartier de la Meinau, reçoit les dons de jouets et les restaure. Ils sont ensuite vendus dans deux magasins strasbourgeois, dont un se trouve rue Faubourg-National.
Cela fait deux décennies que cette enseigne existe et pourtant “ça a toujours été compliqué financièrement”, explique Jean-Daniel Delrue, encadrant technique chez Carijou. Même si les clients sont nombreux, les prix sont trop bas pour que l’association atteigne l’équilibre financier. Il est question de les augmenter, tout en conservant une politique de prix abordables.
Carijou recycle les dons de jouets. © Anis Boukerna
Le Wagon Souk, Carijou et les Petites Cantines sont trois acteurs de l'économie sociale et solidaire du quartier gare. © Mathilda Idri et Anis Boukerna
“Sans les aides, ça ferait longtemps qu’on serait fermé”, confie-t-il. Mais Carijou a un atout, elle dépend de Caritas Alsace, une structure caritative faisant partie du réseau du Secours Catholique. Grâce à elle, l’association bénéficie d’aides financières de la Région, de la Ville de Strasbourg mais aussi du Fonds social européen (FSE).
L’association peut se permettre d’être déficitaire, ses pertes financières sont compensées par les gains des autres associations du réseau Caritas Alsace. Le but de Carijou n’est pas tant de générer du profit que d’aider à la réinsertion et au pouvoir d’achat des plus modestes.
Le coût de l’indépendance
A contrario, certaines structures sociales et solidaires font le choix de refuser des subventions. C’est le cas du Wagon Souk. Situé rue du Rempart, il est géré par l’association Sauver le Monde présidée par Mohammed Zahi. Les revenus du Wagon Souk proviennent exclusivement de ses activités : cantine et café solidaires, vente de plantes, friperie, réparation et vente de vélos et événements. Afin de s’adapter aux petits budgets, une grille tarifaire a été mise en place, notamment pour la cantine, avec des prix basiques, solidaires et de soutien.
Côté friperie, les prix sont libres avec un montant minimum en fonction des vêtements. Par exemple, il faut compter au moins 6 € pour une veste. Les recettes permettent de payer les charges incompressibles telles que le loyer du local, appartenant à la mairie, de 800 € par mois. Le président indique que l’association, en déficit, survit pour le moment grâce aux économies qu’elle a accumulées.
Elle ne reçoit aucune aide ni subvention. “Le choix de faire une association est un choix de liberté”, explique Mohammed Zahi. Il craint d’être sous le joug des politiques et de ne plus pouvoir être autonome en acceptant de recevoir des aides publiques. Pourtant, il lui arrive de postuler à des appels à projet “lorsque les activités du Wagon Souk correspondent à ce qui est recherché”. Mais il se plaint de n’être jamais sélectionné.
Le lieu a été plutôt bien fréquenté cet été mais les visiteurs se font désormais plus rares. Avec l’éviction de l’ancienne cuisinière Adama, l’égérie du Wagon Souk, à la suite d’un conflit avec Mohammed Zahi, c’est la pérennité de la structure qui est menacée. “Ce n’est pas le rêve américain ici”, regrette le président de l’association qui envisage de fermer et de se délocaliser à Marseille.
Mathilda Idri et Anis Boukerna
Cantine, vente de plantes, friperie… Le Wagon Souk offre un panel de services à prix solidaires. © Anis Boukerna