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Symbole de la décentralisation engagée par Mikheil Saakachvili, l’ancien Parlement géorgien de Koutaïssi tombe en ruines.

Vu de loin, l’imposant dôme de verre aux mille fenêtres semble tout droit sorti du futur. De plus près, la soucoupe est en piteux état. La pluie a jauni son bandeau central et les mauvaises herbes poussent entre les carreaux fissurés du parvis. L’édifice a abrité le Parlement géorgien de 2012 à 2019, mais depuis son rapatriement dans la capitale,  il ne reste qu’une coquille vide, là où l’ancien président Saakachvili avait lancé son grand chantier de décentralisation.

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Le journaliste Khvicha Vashakmadze milite au sein de « Leave Parliament in Kutaisi » pour un retour de la chambre dans la ville. © Charlotte Thïede

Tout comme les couloirs de son Parlement abandonné, les rues de Koutaïssi sont désertes ce samedi. Seuls quelques touristes se sont réfugiés dans le café Sanimusho, à quelques pas de la mairie, pour échapper à la pluie. Saba, 21 ans, s’active derrière le bar. Le jeune homme travaille en tant que serveur en parallèle de ses études de sciences sociales. Malgré son affection pour sa ville natale, il a déjà prévu son départ pour l’Allemagne d’ici quelques années. « Koutaïssi était la deuxième ville du pays avant », insiste Teimuraz Kvavadze, 68 ans, qui a participé à la construction du dôme. Une grande majorité de sa famille s’est désormais installée à Tbilissi. « Il n’y a pas d’avenir pour les jeunes ici. »

Relancer l’économie de la région

À Koutaïssi, les habitants sont unanimes. « Bien sûr que c’était mieux lorsqu’il y avait le Parlement ! Les hôtels et les restaurants tournaient, ça amenait beaucoup de monde », se souvient Khvicha Vashakmadze, journaliste et membre de l’association « Leave Parliament in Kutaisi », qui milite pour un retour de la chambre dans sa cité.

C’est à l'initiative de l’ex-président, Mikheil Saakachvili, que le Parlement a été déplacé à 220 kilomètres de Tbilissi. Le gouvernement assure à la population que le transfert de l’institution de la capitale vers Koutaïssi doit contribuer au développement économique de la région d’Iméréthie. Le 26 mai 2012, jour de l'indépendance de la Géorgie, le nouveau Parlement du pays est inauguré en grande pompe dans cette ville de 150 000 habitants. Coût du chantier : 326 millions de laris, soit 128 millions d’euros.

À l’époque, Chiora Taktakishvili, députée au sein du Mouvement national uni, le parti fondé par l’ancien chef d’État, n’est pas en faveur du projet: « Je n’étais pas convaincue que cela suffirait à redynamiser la région. » Basée à Tbilissi, comme la plupart des parlementaires, elle doit aussi réorganiser son emploi du temps. « Les trajets étaient contraignants. Il n’y avait pas de ligne de train rapide. Cela prenait plusieurs heures », reconnaît-elle. Un argument de taille pour l’opposition qui, arrivée au pouvoir cinq mois à peine après l’ouverture du Parlement, s’emploie à ramener l’institution dans la capitale.

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Teimuraz Kvavadze, 68 ans, a participé à la construction du dôme. © Charlotte Thïede

« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi »

Le 1er octobre 2012, la coalition de l'opposition de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, Rêve géorgien, remporte les élections législatives. Rapidement, la cohabitation s’annonce difficile avec Mikheil Saakachvili, dont le mandat expire un an plus tard. Le « candidat de Moscou » voit d’un mauvais œil la politique de modernisation menée par son rival pro-occidental. Il va s’attacher à détricoter son héritage, notamment à Koutaïssi.

« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi. Tous les projets ont cessé : la construction d’hôtels, la rénovation de la ville,  l’entretien même du bâtiment, soupire Chiora Taktakishvili, finalement convaincue des avantages de l’installation de l’institution dans la région d’Iméréthie. L’arrivée du Parlement a changé le statut de la ville. Koutaïssi était devenue attractive. Un chef français de Nice avait même ouvert un restaurant. Les députés y étaient toujours fourrés. » L’établissement est aujourd’hui fermé, à l’instar de nombreux commerces.

Selon Rêve géorgien, la coordination entre le Parlement et le gouvernement était trop compliquée dans deux villes distinctes, et l’entretien des bâtiments trop coûteux. « La vérité, c’est qu’ils ont voulu abattre le symbole associé à Saakachvili », assène Chiora Taktakishvili. Au-delà des emblèmes, c’est l’homme qui a été banni de la vie des Géorgiens. L’ancien président purge une peine de six ans pour abus de pouvoir. Loin d’avoir été effacées, ses idées libérales sont régulièrement scandées par les manifestants devant le Parlement, en plein cœur de la capitale géorgienne.
 

Audrey Senecal
Avec Mariam Kvavadze

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