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Le nombre de mariages de mineures a fortement baissé par rapport à la décennie 1990. Mais malgré sa criminalisation, le phénomène reste difficile à endiguer : près d’une jeune femme sur sept est mariée avant ses 18 ans.

Dans le jardin de l'Université d'État de Tbilissi, Ketevan Kentchiashvili et sa fille Zanda prennent la pose. © Juliette Vienot

Ketevan Kentchiashvili, 39 ans, a encore un sourire malicieux quand elle évoque la rencontre avec son mari : « À 14 ans, je suis tombée amoureuse d’un beau gosse de 19 ans, et on a tout de suite voulu se marier. » Un passage obligé pour avoir des relations sexuelles dans un pays où les femmes doivent à tout prix préserver leur virginité. Faisant fi des réticences des parents de la jeune fille, le couple se dit « oui » devant les autorités locales de Tbilissi, qui enregistrent leur union, avant d’avoir un enfant dans la foulée. Deux autres suivront, dont Zanda, 20 ans, qui écoute aujourd’hui sa mère raconter son histoire. 

L’histoire d’amour dure depuis 25 ans. Celle qui travaille comme manucure au salon Beauty house de Tbilissi ne regrette rien. Pourtant, jamais elle n’aurait accepté que ses trois enfants se marient avant leur majorité. « Ils font des études, je veux qu’ils réalisent leurs rêves », justifie-t-elle. L’idée n’a même pas traversé l’esprit de Zanda, étudiante à l’université d’État de Tbilissi : « Comment peut-on vouloir se marier si jeune ? C’est difficile à comprendre, même en sachant que le contexte était différent. »

Des mariages désormais prohibés

Quand Ketevan s’est mariée, à la fin des années 1990, les unions précoces étaient monnaie courante, et « des filles se faisaient kidnapper sur le chemin l’école ». C’est ce qui est arrivé à ses sœurs, mariées avec les auteurs des faits, avant de divorcer. Ces « mariages par enlèvement » ont atteint des sommets après la chute de l’URSS. « Les structures gouvernementales étaient dysfonctionnelles et les coupables savaient qu’ils n’allaient pas être tenus responsables », décrit Tamar Dekanosidze, représentante de l’association féministe Equality Now dans la région. 

La loi géorgienne s’est depuis alignée sur les normes internationales. Le mariage de mineures est totalement interdit depuis 2016. Une manière de s’assurer que les deux époux sont suffisamment matures pour donner « leur consentement libre et plein », une condition fixée par la Déclaration universelle des droits humains.

Cette interdiction permet surtout de protéger les filles, beaucoup plus touchées que les garçons, des conséquences néfastes des unions précoces : les grossesses difficiles, une plus grande vulnérabilité aux violences conjugales, et un moindre accès à l’éducation. Près de la moitié des femmes mariées avant 18 ans en Géorgie ont arrêté l’école en primaire, et seulement 3 % ont atteint l’enseignement supérieur, selon une étude de l’UNICEF effectuée en 2018. C’est ce qu’il s’est passé pour Ketevan. Zanda regrette que sa mère ait renoncé à devenir avocate pour se marier, même si « sans ça, je ne serais pas née », s’amuse-t-elle. 

Une pratique qui persiste

Mariam Bandzeladze, du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), se félicite que la Géorgie soit dotée « d’une des meilleures législations sur le mariage des mineures, avec une formulation qui suit les standards européens, tant au civil qu’au pénal ». Mais la responsable de programme souligne que de nombreux ados continuent d’être mariés, et que leurs unions ne sont pas enregistrées officiellement.

Vu de Tbilissi, le mariage de mineures apparaît comme une pratique archaïque propre aux minorités ethniques. Mais si les Azéries sont plus touchées, avec 37,8 % des jeunes femmes mariées avant leur majorité, 12,4 % des Géorgiennes sont aussi concernées, selon l’ONU.

Le préjugé ethnique fait oublier les autres facteurs alimentant les unions précoces : un tiers des filles les plus pauvres sont mariées avant leurs 18 ans, et un quart de celles qui habitent en zone rurale. Des données à prendre en compte pour combattre les mariages de mineures, d’après Kamran Mammadli. L’expert au Social Justice Center défend ainsi un accès gratuit à l’éducation pour toutes et tous, même dans les zones les plus reculées.

Peu de condamnation pour ces crimes

« Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe », signale Neli Kareli, juriste de l’ONG Sapari. Les écoles, médecins ou hôpitaux ont bien l’obligation de communiquer sur ces crimes, mais une enquête n’est ouverte que si l’adolescente enceinte a moins de 16 ans, l’âge de la majorité sexuelle en Géorgie. « Et dans beaucoup de cas, les filles refusent de parler quand la police les interroge », regrette Neli Kareli. 

Les victimes elles-mêmes n’ont pas forcément conscience de leurs droits, et les unions sont rarement des « mariages forcés » au sens strict, contrairement aux années 1990. Ce sont parfois les jeunes eux-mêmes qui en prennent l’initiative, comme l’ont fait Ketevan et son mari. Une façon d’échapper au contrôle de leur sexualité dans une société très patriarcale. « Une grande valeur est accordée à la virginité des filles, donc les parents les découragent de flirter pour préserver leur réputation », détaille Tamar Dekanosidze d’Equality Now.

Au-delà de la criminalisation, Mariam Bandzeladze insiste sur l’importance de susciter une prise de conscience des populations sur le mariage des mineures, pour « s’assurer que cette pratique ne soit plus acceptable socialement ». Le chantier commence à peine, et prendra des générations.

Clémence Blanche
Joffray Vasseur
Juliette Vienot
Avec Tamta Dzvelaia et Annamaria Shekiladze

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