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Sans en produire, la Géorgie est devenue le principal marché de l’automobile du Caucase. Sa spécialité : la voiture d’occasion importée des États-Unis, puis ré-exportée de Roustavi, au sud-est de Tbilissi.  

Si la Géorgie ne produit pas de voitures sur son territoire, l’automobile représente pourtant son deuxième secteur d’exportation, soit 830 millions d’euros en 2023. © Camille Aguilé

Pare-chocs enfoncés, voire totalement absents. Volants à gauche, parfois à droite. Rien d’anormal en Géorgie. Si les routes fourmillent de ce type de véhicules, ce n’est pas un hasard. Depuis une dizaine d’années, le pays occupe une place centrale dans le commerce international de la voiture d’occasion. Avec une clientèle venue de pays frontaliers comme l’Azerbaïdjan ou l’Arménie, mais aussi d’Asie centrale comme le Kazakhstan, le car market de Roustavi est le plus grand marché d’automobiles retapées du Caucase et illustre la place majeure de ce secteur dans l’économie de la Géorgie.

« Ma Toyota Camry de 2018 vient des Etats-Unis, je l’ai rachetée à un Géorgien et je vais la revendre au Kazakhstan. » Omizhan pointe sur son smartphone le périple qui l’attend jusqu’à son pays. Dans une annexe du car market de Roustavi, la condensation envahit les vitres. Au milieu d’un attroupement d’une trentaine d'hommes, cet imposant Kazakh cherche à trouver une place pour s’asseoir. « Je dois passer par la Russie, c’est moins cher que de traverser l’Azerbaïdjan et la mer Caspienne en bateau. » Celui qui se dit géologue arpente ce trajet de tout juste 6 000 kilomètres aller-retour, quinze jours par mois, lorsqu’il n’est pas occupé par son « activité principale ». Revendre des automobiles, un « hobby » non négligeable selon Adilkhan, un de ses compatriotes présents dans la salle, qui dit gagner entre 500 et 3 000 dollars par voiture. Lui aussi effectue ce trajet régulièrement, « sept à dix fois par mois », précise-t-il. 

Chaque nouveau propriétaire de véhicule doit passer en personne dans le centre administratif de Roustavi pour récupérer sa plaque d’immatriculation. © Corentin Chabot-Agnesina

En Géorgie, tout le monde a déjà mis les pieds à Roustavi. Chaque nouveau propriétaire de véhicule, qu’il soit de citoyenneté géorgienne ou non, doit passer en personne dans ce centre administratif pour récupérer sa plaque d’immatriculation. À quelques mètres de cette entité du ministère des Affaires intérieures : des milliers de voitures à perte de vue. Les nuages affleurent les immenses lampadaires des parkings. Revendeurs et particuliers arpentent ce drôle de capharnaüm de 225 000 m², slalomant entre les files de bagnoles plus ou moins réparées.

« Dighomi était un vrai bazar oriental »

Si la Géorgie ne produit pas de voitures sur son territoire, l’automobile représente pourtant son deuxième secteur d’exportation, soit 830 millions d’euros en 2023. Après la Révolution des roses en 2003, un réseau d’exportateurs, d’importateurs et d’ateliers de réparation commence à se former à Dighomi, dans la banlieue ouest de Tbilissi. Cette situation n’a pas échappé à Kaxa Lomidze, directeur marketing de Caucasus Auto Import. Fondée en 2004, l’entreprise importe des voitures reconditionnées des États-Unis pour des particuliers. « En Géorgie, nous avons l’avantage d’avoir un port sur la mer Noire », explique-t-il.

Jusqu’en 2009, l’État n’est pas présent à Dighomi pour enregistrer les transactions et prélever des droits. « C’était un vrai bazar oriental », décrit Yaroslava Babych, à la tête du Centre de recherche en macroéconomie de l’École internationale d’économie de Tbilissi. Le ministre de l’Intérieur géorgien décide alors de délocaliser le marché de voitures à Roustavi, à 25 kilomètres au sud-est de la capitale. Il y implante un complexe administratif délivrant licences et plaques d’immatriculation, tout en prélevant des taxes.

 

Part de voitures ré-exportées par la Géorgie après leur importation des États-Unis. © Christina Genet

« ll y avait une réelle volonté de l'État de promouvoir ce commerce, analyse Yaroslava Babych, l’objectif était de se rapprocher des frontières de l’Arménie et de l'Azerbaïdjan. » Au-delà de sa situation géographique stratégique, le marché automobile géorgien séduit par la facilité à acquérir un véhicule. « En seulement un ou deux jours, il est possible d’acheter une voiture, d’obtenir les papiers, de l’immatriculer et de rentrer dans son pays avec », indique l’homme d’affaires. Il en importe environ 7 000 par mois.

De plus en plus de Russes à Roustavi

Aujourd’hui, Caucasus Auto Import achète exclusivement des véhicules américains, car le marché de l’occasion dispose de nombreux atouts : « On peut y trouver rapidement des bagnoles accidentées, et leur historique est accessible », confirme Kaxa Lomidze. Surtout, le marché américain est le moins cher. Le Japon a auparavant été un important partenaire. Mais en janvier 2017, une loi géorgienne change la donne pour le commercial : « Les voitures dont le volant est à droite deviennent trois fois plus taxées que les autres. » 

Les grands constructeurs automobiles s’étant retirés de Russie avec la guerre en Ukraine, de plus en plus de citoyens russes se tournent vers Roustavi. « J’ai le numéro 120 et ils en sont à peine au numéro 20. Ça fait déjà une heure que j’attends. » Adam, 27 ans, patiente pour récupérer sa confirmation d’achat. Ce Moscovite est venu pour acheter une berline allemande à un revendeur géorgien, pour 15 000 dollars (14 550 euros), « en comptant les frais de transport », raconte le mécanicien. Il rentrera en Russie au volant de son nouveau bolide, dans la soirée. 

Si Kaxa Lomidze affirme que le conflit n’a pas eu d’impact sur ses ventes de voitures, le onzième paquet de sanctions prévu par la Commission européenne contre la Russie ne devrait pas le desservir : une interdiction totale d’y exporter des automobiles est envisagée, ce qui pourrait inciter davantage de citoyens russes à se rendre, eux aussi, à Roustavi, pour contourner ces sanctions, et aller chercher eux-mêmes leur nouveau véhicule.

Corentin Chabot-Agnesina
Christina Genet

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