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Les Vingt-Sept n’ont pas accordé le statut de candidat au pays du Caucase, notamment à cause de son système judiciaire opaque. 

« La justice en Géorgie n’est pas indépendante. C’est pour cela que l’Union européenne a refusé notre candidature », soupire Nazi Janezashvili, fondatrice de l’ONG Georgian Court Watch. En juin 2022, le Conseil européen a refusé d’octroyer le « statut de pays candidat » à Tbilissi, à la différence de la Moldavie et de l’Ukraine. Il a conditionné l’obtention de ce sésame, première étape du processus d’adhésion à l’Union européenne, au respect d’une douzaine de priorités, dont une réforme profonde de la justice.

Plusieurs rapports internationaux accusent le pouvoir judiciaire géorgien de servir d’instrument d'influence politique. Le Conseil supérieur de justice (CSJ), chargé de garantir l'indépendance des tribunaux, de nommer et de révoquer les juges, « fonctionne comme un organe corporatiste », selon un rapport du Conseil de l’Europe publié en 2021.

La justice au service du Rêve géorgien

Le 5 avril 2023, les États-Unis ont imposé des sanctions à trois juges du CSJ, accusés de corruption et soupçonnés d’appartenir au « clan ». « C’est un groupe de magistrats influents aux ordres du gouvernement », témoigne Nazi Janezashvili, qui a assisté à ces dérives lors de son mandat au CSJ de 2017 à 2021. « Il permet au parti au pouvoir, Rêve géorgien, de s'immiscer dans les affaires et de peser sur les décisions des tribunaux. »

Nazi Janezashvili, fondatrice de Georgian Court Watch. © Audrey Senecal

La majorité parlementaire se servirait de ces juges à sa solde pour réprimer l'opposition. Dernier cas en date, selon la fondatrice de l’ONG : les procès de manifestants contre la loi sur les « agents étrangers », inspirée d’un texte russe dont le Kremlin s’est servi pour museler les médias et les voix critiques à son encontre. Le 29 mars, la police a arrêté Lazare Grigoriadis, manifestant de 21 ans, accusé d'avoir agressé un policier et détruit les biens d'autrui. Le jeune homme encourt jusqu’à onze ans de prison. Un autre militant de 21 ans, Tornike Akopashvili, a été interpellé et risque jusqu'à sept ans de prison.

 

Adhésion de la Géorgie à l'UE : 6 des 12 priorités fixées par la Commission

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Source : Open Society Georgia Foundation © Louise Llavori

 

La lourdeur des peines encourues et les commentaires diffamatoires proférés par certains dirigeants reflètent, selon les soutiens de Lazare Grigoriadis et Tornike Akopashvili, l’instrumentalisation de la justice par le gouvernement. Le Premier ministre Irakli Garibashvili a qualifié les manifestants de mars de « satanistes » et d’« anarchistes ». Irakli Kobakhidze, le président du parti au pouvoir Rêve géorgien, a décrit Lazare Grigoriadis comme un « jeune homme avec des orientations confuses ». Les deux accusés, l’un arborant une apparence atypique – tatouages sur le visage, cheveux teints et piercings –, l’autre ayant combattu comme volontaire en Ukraine, contrarient les penchants traditionnels et pro-russes du gouvernement. 

Alors que les sondages indiquent que 82 % des Géorgiens souhaitent intégrer l’Union européenne, le parti au pouvoir semble peu enclin à satisfaire la troisième condition fixée par les Vingt-Sept pour que la Géorgie puisse obtenir le statut de pays candidat. Le chef du Rêve géorgien, Irakli Kobakhidze, défend les juges du CSJ sanctionnés par les Américains, tandis que l’ancien président Mikheil Saakachvili, empoisonné après son incarcération, risque la mort dans la prison où il croupit depuis octobre 2021.

Audrey Senecal

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