Depuis une semaine, Sciences Po est mis à mal par une vague de dénonciation de violences sexistes et sexuelles lancée sur les réseaux sociaux sous le hastag #SciencesPorcs. À Strasbourg, les étudiants dénoncent une culture du viol prégnante et un manque de soutien de la part de l’administration.
"Quand j’étais en deuxième année de Sciences Po Strasbourg, j’ai remarqué que je connaissais dans chaque promo au moins une personne qui a vécu un viol (…). L’administration n’a rien fait quand elle a eu connaissance de cas, tout ce qui l’intéressait c’était de préserver la réputation de l’école". Ce témoignage a été relayé la semaine dernière sur la page Instagram de la militante féministe Anna Toumazoff. Une révélation parmi tant d’autres qui ternissent l’image de la prestigieuse institution.
Si ces accusations proviennent surtout de témoins et non de victimes, tous mettent en avant la négligence d’une administration peu empathique. "Il y a cette tendance à dire qu’ils ne pouvaient rien faire, qu’ils essaient d’être neutre, témoigne un étudiant de l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Strasbourg. Il y avait parfois une forme d’écoute mais ça n’allait pas très loin parce qu’on est dépendant des procédures de l’Université de Strasbourg et elles sont assez homériques dans ce genre de cas."
Lenteur des procédures
Contrairement aux IEP, celui de Strasbourg dépend en effet de l’université. L’établissement n’a pas le pouvoir de déclencher des enquêtes internes et sanctionner, explique le directeur des études Arnaud Duranthon : "Notre compétence est de saisir la section disciplinaire placée sous l’autorité du président de l’Université. Notre pouvoir s’arrête au signalement." Ces procédures peuvent durer plus d’un an et sont de fait très peu sollicitées par les victimes.
"Ce temps est en décalage avec l’urgence de ces problèmes. L’université est sensibilisée à la nécessité de procédures plus rapides, dit-il. Nous pouvons néanmoins mettre en place des mesures conservatoires pour que les étudiants ne se croisent pas". Elles n'ont pour l'instant pas été appliquées selon des étudiants.
L’équipe dirigeante, en poste depuis septembre 2020, dit avoir "le sentiment de porter sur (ses) épaules des affaires ou des décisions antérieures" qui ne sont plus de leur ressort. "On n’a aucun intérêt à chercher à protéger une réputation de nos écoles. Ce n’est pas en protégeant des violences qu’on se rend populaire", soutient Arnaud Duranthon.
Culture du viol
Reste que les étudiants dénoncent une culture du viol toujours prégnante dans l’enceinte de l’établissement. "Durant mes premières années d’étude, on avait un magazine appelé Sciences Propos avec une rubrique potins, avec des trucs, genre, qui a couché avec qui, tout le monde y avait accès, relate une étudiante de dernière année. Chaque année, tu as un groupe de mecs un peu mâle alpha qui entretient une culture qui te pousse à coucher."
Les week-end d’intégration, soirée étudiantes et surtout le CRIT, une compétition sportive inter-IEP qui a lieu chaque année, favoriseraient les agressions sexuelles et viols. L’ensemble des IEP de France a annoncé, via un communiqué interne, mettre un terme à cette dernière. Une décision toute relative, dénonce Loriane Guidal, co-présidente de l’association féministe Arc en ci.elles à Sciences Po Strasbourg : "Les IEP ont arrêté de le financer mais les organisateurs du CRIT peuvent trouver des financements ailleurs."
L’association créée en 2013 à Sciences Po Strasbourg, attend en revanche beaucoup d’un comité de travail, que la direction a décidé de lancer dans les prochains mois. Ce groupe, qui réunira associations, enseignants, administratifs, membres de la police nationale et personnel de l’Eurométropole, a pour but "de mettre à plat la manière de gérer cette problématique en amont", explique Arnaud Duranthon. Arc en Ci.elles milite notamment pour la mise en place de formations "à l’écoute des victimes" pour le personnel et des "poursuites disciplinaires systématiques" contre les auteurs de violences sexuelles.
Emma Chevaillier