À Strasbourg, l’intersyndicale a laissé place à une manifestation spontanée - autrement appelée « violence urbaine » par la préfecture. Sommation, charge... plongée à l'intérieur d’un dénouement musclé.
Masques sur le visage, les policiers quadrillent le quartier de la Krutenau. © Mahault de Fontainieu
Nouvel acte. Rue du Maréchal Juin, les figurants laissent place. Bleus et noirs se font face à face. « Grève, blocage, manif sauvage. » Côté police, on ronge son frein. La Légion, adossée à quatre camions de police — première cellule des futur·e·s interpellé·e·s — n’attend que d’être lancée. Ici, plus de manifestation déclarée, c’est de la « violence urbaine » à leurs yeux. Pas de son de cor mais un mégaphone robotique qui scande : « Vous faites partie d’un rassemblement illégal ».
Première scène, première sommation
Fumée, brûlure, toux. Merde. Inhalation, respirer, c’est suffoquer. Sous ce grand soleil, le brouillard se lève. Ceux auprès desquels nous marchions sont devenus des ombres. Ils ne sont que des directives pour fuir. Derrière nous, les colosses bleus aux boucliers rayés écoutent. La lacrymo, solution de dispersion, solution de soumission.
Au travers de ce rideau de particules, elle apparaît. Son keffieh sur les épaules, elle hurlait quelques minutes plus tôt face aux boucliers sans visage. Le nez retroussé, la bouche déformée par la lutte contre ce système qui selon elle l'étrangle et lui creuse les yeux. Chose faite. Son visage juvénile est strié de larmes noircies par son eye-liner coulant.
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Deuxième scène. Dispersion, course, charge, prise
La Légion ne saute plus comme à son habitude. « Bond offensif », aime-t-elle à dire dans son langage codifié. Feinte pour effrayer les récalcitrants. Ici, elle est revenue à sa forme la plus musclée. La prise de terrain, pas de retour en arrière. Nous courrons, ils poursuivent, les fourgons talonnent. « Tout paraît simple, mais le plus simple est compliqué. » D’accord, Clausewitz. Courir, c’est simple, mais sous gaz beaucoup moins.
Dans la fumée des gaz lacrymogènes, les manifestants se dispersent pour mieux se retrouver. © Mahault de Fontainieu
Nous ne sommes plus que des souris, qui se chapardent dans les ruelles de la Krutenau. Le quartier de la vie estudiantine est devenu le terrain de jeu du chat, épaulé de toute sa hauteur par son drone. « Aujourd'hui, se passer de drones, c'est comme se passer de la vue », avait déclaré le sous-directeur de l’emploi des forces de la gendarmerie. Ils voient tout. Ici-bas, tout est désordre.
Rattrapé par la nuée, il escalade apeuré comme un lapin la barrière d’un jardin. Treize ans seulement, premier gazage. « Oh les fils de pute, je vais les niquer. » Le petit chenapan, a voulu faire comme les grands. De son école buissonnière, il a appris la répression policière. Bon baptême du feu.
Troisième acte. Fin.
Quatre dispersions sont venues à bout des groupes mobiles. La partie est finie. Les noirs battent en retraite. Cinq à zéro pour les Bleus. Motif d’interpellation : refus de dispersion, dissimulation de visage, jet d'œuf, possession d'une barre de fer et de deux broyeurs à cannabis… Mais le dénouement ne marque pas la fin de la pièce. Prochain acte, le 24 septembre.
Mahault de Fontainieu et William Jean
Edité par Zoé Fraslin