Chaque année, environ 1500 animaux de compagnie sont abandonnés au centre d’accueil associatif, totalement saturé. Ses bêtes sont mises sur une liste d’attente qui peut durer des mois.
Catherine Bronnen connaît Polochon depuis son arrivée, en avril 2022. © Quentin Baraja
À peine dépassé le Ikea de Cronenbourg, les aboiements se font entendre. Une quinzaine de cages longent la rue Entenloch. À l’intérieur, des chiens abandonnés, impatients de sortir, au moins le temps d’une balade avant d’être d’adoptés. C’est au tour d’Ulysse, canidé de race commune au long pelage noir. Les deux pattes en l’air, il est tellement excité qu’il faut trois bénévoles pour le mettre en laisse.
Ulysse est né en 2024. Il s’est retrouvé à la Société Protectrice des Animaux (SPA) de Strasbourg un an plus tard, en mai 2025. Le jeune chien fait partie des 70 canidés du refuge associatif, 130 chats et quelque 40 « NAC », les nouveaux animaux domestiques (lapins, cochons d’inde, tortues…). Comme partout en France, le refuge associatif de Strasbourg est complet. Selon un rapport sorti jeudi 18 septembre de la SPA et de Ultima, fondation du fabricant de croquettes Affinity, plus de 38 000 animaux abandonnés se sont vus refuser l’accueil par des associations en manque de place en 2024.
Une liste d’attente longue comme la patte
Si la SPA de Strasbourg ne fait pas partie des 800 associations françaises qui ont participé à l’étude, elle connaît les mêmes problématiques. « Plus il y a d’animaux de compagnie, plus il y a de cons qui les abandonnent ! », s’agace Catherine Bronnen qui travaille depuis 31 ans à l’accueil de ce centre qui sent la croquette. Au lieu de refuser l’accueil de ces compagnons abandonnés, la SPA de Strasbourg les place sur une liste d’attente, appelant les propriétaires abandonnistes dès qu’une place se libère. Ils sont en moyenne une trentaine à patienter.
Bien-sûr, la liste ne prend pas compte les « urgences » : les animaux trouvés, saisis par la justice car maltraités ou ceux que les propriétaires menacent de tuer si l’association ne les prend pas. Trouver une famille d’accueil, mettre deux chiens dans une même cage, le refuge trouve toujours une place entre les couvertures étendues et les sacs remplis de ballons de rugby. « On ne peut pas refuser. On se débrouille, on joue à Tetris », raconte la salariée.
Chaque année, environ 1500 animaux de compagnie sont abandonnés à la SPA de Strasbourg. Si 90 % d’entre eux trouvent un foyer selon Catherine Bronnen, il en reste 10 % qui ne bouge pas de leur cage. « Des animaux passent leur vie chez nous », se désole-t-elle.
La difficulté de trouver une famille d’adoption à l’ère de l’instantané
Si elle ne remarque pas de hausse du nombre de bêtes délaissés depuis 30 ans, elle constate qu’ils passent plus de temps en refuge avant de trouver une nouvelle famille. Pour elle, l’ère des réseaux sociaux et de l’instantané où on peut se faire livrer n’importe quoi en un clic y joue pour beaucoup.
Ils sont déjà plus exigeants : « Les gens veulent un chat de telle couleur, de telle taille, de cette race… » Puis plus capricieux. Comme un t-shirt dont la couleur était plus convaincante sur le net qu’une fois reçue, les maîtres et maîtresses abandonnent plus facilement un animal domestique qui ne rencontre pas tout leur standard. « On prend un animal pour ce qu’on peut lui apporter quelque chose, pas pour ce qu’il peut nous apporter », s’agace Catherine. Ils ne prennent pas conscience des besoins de leur nouveau compagnon, ne l’emmène pas chez un comportementaliste ou un dresseur puis l’abandonne à la première difficulté, avec des problèmes de d’éducation qui le rendra plus difficile à adopter.
Les chats vivent en communauté dans des stabulations. © Quentin Baraja
Pour que les futurs propriétaires comprennent la responsabilité d’adopter un animal de compagnie, il existe en France le « certificat d’engagement et de connaissance » depuis 2022. La personne doit attendre sept jours entre la signature du certificat et l’adoption de l’animal, un délai censé permettre une réflexion et éviter l’abandon précipité.
Le traumatisme des animaux abandonnés
Cependant, il est très facile de contourner ce document en l’antidatant. « La notion de traumatisme pour l’animal n’est pas prise en compte. Il ne comprend pas ce qu’il se passe. Il ne sait pas qu’il est abandonné, il se retrouve dans une cage, avec du bruit, sur du béton. »
Les coussinets de Polochon foulent le même béton depuis plus de trois ans. « Et alors Polo ! », s’exclame Catherine en le retrouvant. Le gros pépère se dandine vers elle, la queue remue tellement qu’elle pourrait s’envoler. Ce Patou de six ans porte bien son nom, on a envie de se blottir contre lui. A peine la salariée s’en va qu’il se laisse tomber par terre, en attendant la prochaine interaction.
Arlette Berthon est bénévole dans le centre depuis 11 ans, elle promène des chiens deux fois par semaine. Sa mission « leur faire des câlins, rassurer, redonner confiance en l’être humain. » Si elle aime ces canidés, elle se désole de voir toutes les cages remplies : si [les propriétaires] savaient à quel point ils souffrent d’être ici, ça les ferait changer d’avis. »
Et parfois, ils le font. Le bon côté avec la liste d’attente, c’est que par définition, elle laisse du temps. Dans plus de la moitié des cas, les propriétaires des animaux en liste d’attente trouvent un moyen de faire les faire adopter avant que ce soit leur tour. Dans le meilleur des cas, l’attente est si longue qu’ils décident finalement de le garder. Il y a peu de temps, le SPA de Strasbourg a reçu un email d’une propriétaire. Six ans plus tôt, elle a voulu abandonner son chien. La liste d’attente et le suivi des salariés l’ont fait renoncer. Quand son compère canin est décédé, elle a écrit à la SPA pour les remercier et exprimer le bonheur qu’elle avait eu de vivre avec lui jusqu’à ses derniers jours.
Quentin Baraja
Édité par Camille Carvalho