17 février 2022
Lors de la session plénière, les eurodéputés ont plaidé pour l’ouverture d’une commission d’enquête sur le logiciel espion Pegasus et pour un encadrement plus strict de l’usage de logiciels similaires au sein de l’Union.
Sophia In't Veld porte le projet de commission d'enquête au sein du groupe Renew (libéraux) ©Théo Renault
“Big Brother”, “La vie des autres”, sont quelques-unes des références entendues dans les discours des eurodéputés pour qualifier le dossier Pegasus, du nom du logiciel espion de la société israélienne NSO. La cybersurveillance dont aurait fait l’objet des dizaines de milliers de téléphones portables dans le monde, ciblant des journalistes, des magistrats et des opposants politiques, a été jugée de façon unanime "inacceptable" et “gravissime” par les députés eruopéens. “Les États-Unis ont placé la société mère de Pegasus (NSO) sur liste noire. L’ONU réclame un moratoire sur la vente et le transfert de ces technologies. Il est temps, plus que temps, que l’UE agisse”, a affirmé le coprésident des Verts européens, Philippe Lamberts (ALE, écologistes). Huit mois après les révélations de 17 médias internationaux réunis par la plateforme Forbidden Stories, les députés ont exprimé leur souhait de passer à la vitesse supérieure.
Créer une commission d'enquête
Une commission permettrait “des auditions, de réelles enquêtes, une transparence et une publicité des résultats”, explique Fabienne Péraldi Leneuf, professeure de droit européen à l’Ecole de Droit de La Sorbonne. Mais également d' “établir quels États membres possèdent Pegasus ou des logiciels espions équivalents. Les responsabilités doivent être établies et des sanctions prises en conséquence”, a appuyé Philippe Lamberts. Dans le collimateur des parlementaires, la Pologne et la Hongrie sont ouvertement mentionnées. L’Allemagne est également sur le banc des accusés. “Dans le cadre d’une commission d’enquête européenne, on ne peut pas faire prêter serment lors des auditions ou obliger les gens à venir témoigner, c’est une tribune pour ceux qui voudraient parler, pour que le sujet reste sur la table”, ajoute l’eurodéputée Sophie in’t Veld (Renew, libéraux). Une majorité parlementaire semble en faveur du projet qui devrait être voté la prochaine fois que le Parlement se réunira à Strasbourg, le 8 mars.
La Commission et le Conseil critiqués pour leur silence
Certains députés mettent en doute la volonté d’agir de la Commission et du Conseil de l’Union européenne: “Comment se fait-il que le Conseil et la Commission aient été aussi silencieux ? Qu’ont-ils fait dans la pratique ? Rien”, a dénoncé la députée Sophie in’t Veld (Renew, libéraux) dans l’hémicycle. “Ils auraient pu interroger les gouvernements nationaux. Si les allégations sont vraies, il s’agit d’une violation des droits fondamentaux et de l'État de droit”, deux domaines qui relèvent des traités européens. Elle reproche enfin à la Commission de ne pas avoir placé sur liste noire la société israélienne au cœur du scandale: “la Commission prétend ne pas en avoir le pouvoir, j’ai de sérieux doutes à ce sujet.”
Priorité aux "enquêtes nationales"
En guise de réponse, le commissaire européen Didier Reynders a insisté sur les enquêtes nationales déjà ouvertes par le parquet en Hongrie et par le Sénat en Pologne, en précisant que la Commission européenne les “suivait de près”. Il a également indiqué que des poursuites judiciaires envers ces États seraient envisageables si le “manque d’indépendance ou d’efficacité” de ces enquêtes nationales était prouvé. Clément Beaune, présent en tant que représentant du Conseil de l’Union européenne, a indiqué “qu’il n’appartient pas au Conseil de se prononcer à ce stade sur le travail d’une autorité nationale qui est en cours, quoi qu’on en pense”. Il a en outre rappelé que des projets de directives relatifs au renforcement de la cybersécurité européenne étaient discutés en ce moment avec le Parlement et qu’ils devraient aboutir “au cours de la présidence française du Conseil de l’Union européenne” en juin 2022.
Certains parlementaires européens souhaitent aller plus loin qu’une simple commission d’enquête. Selon le député Vert Philippe Lamberts, l’enquête constitue en fait “une étape indispensable pour avancer vers un cadre régulatoire des conditions d'exportation, de vente, de transfert et surtout d'utilisation des technologies de cyber-surveillance”.
Marine Corbel et Théo Renault