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L'aide à la rénovation ne fait pas l'unanimité

17 octobre 2012

Situées sur la maille Eléonore, les copropriétés Eléonore 1 et 2 comptent respectivement 169 et 325 logements. Craignant une dégradation de ces copropriétés, la Communauté urbaine de Strasbourg a décidé de les intégrer à une Opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH). Mais la décision peine à convaincre les habitants.

 

La copropriété Eléonore 2 a été bâtie au début des années 70. (photo CUEJ/Vincent Di Grande)

Les façades sont défraîchies et le béton abimé par endroits, mais l'état général des immeubles n'a rien d'alarmant pour des constructions datant des années 70. Les parties communes sont propres, entretenues, et ne portent aucune marque importante de dégradation. Pourtant, la Communauté urbaine de Strasbourg vient de décider d'intégrer les copropriétés Eléonore 1 et 2, avec quatre autres copropriétés de l'agglomération, à une Opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH).

 

En clair, l'Etat, via l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat (Anah), et la CUS vont verser des aides (sous forme de subventions ou encore de prêts) à ces deux copropriétés. Ces aides doivent permettre de réaliser des travaux de rénovation, en l'occurrence des travaux d'isolation. A terme, l'objectif est d'améliorer les performances énergétiques des logements et ainsi diminuer les charges de copropriétés. La décision a été entérinée en conseil de communauté le 27 janvier dernier.

 

Pour l'instant, l'OPAH n'en est qu'à ses prémices. Avant même de passer à la première étape, l'audit énergétique des bâtiments (une obligation légale depuis le Grenelle de l'environnement), il faut déjà établir des devis et choisir une entreprise pour réaliser cet audit.

 

Destinées à l'origine à l'habitat social, les OPAH ont depuis été étendues aux immeubles privés. Les OPAH « Copropriétés dégradées » sont un dispositif exceptionnel, réservés à des copropriétés connaissant de graves difficultés. La décision d'intégrer Eléonore 1 et 2 à ce dispositif est paradoxalement loin de faire l'unanimité parmi les habitants. Des habitants d'abord vexés du terme « dégradé ».

 

 

« On ne sait pas à quelle sauce on va être mangés »

 

Mais le scepticisme des résidents s'explique surtout pour des raisons plus pragmatiques. Comme Elisabeth Hamze, propriétaire d'un appartement à Eléonore 2, nombreux sont les habitants qui craignent que l'OPAH n'oblige les copropriétaires à réaliser des travaux qu'ils n'ont pas les moyens, collectivement et individuellement, d'assumer. Pour, au final, des résultats incertains en terme d'économies d'énergie.

 

Elisabeth Hamze, enseignante à la retraite et résidente propriétaire à Eléonore 1.

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Ces doutes, Daniel Tomasi de la Sogestra les partage. Principal de syndic des deux copropriétés, il est assez remonté contre la CUS. Il lui reproche une approche bureaucratique du problème : « La CUS a décidé de faire rentrer Eléonore 1 et 2 dans l'OPAH sans même savoir quels étaient les besoins des résidents. Avec l'OPAH, on nous promet de subventionner des travaux à hauteur de 45 % (35 % de l'Anah et 10 % de la CUS NDR), mais sans connaître la nature et surtout le montant des travaux. Je ne suis pas convaincu que cela suffise. Ce sont des travaux qui pourraient dépasser quatre à cinq fois le budget de la copropriété. »

 

Pourtant, il y a près de cinq ans, c'est Daniel Tomasi qui avait sollicité la CUS. « Il était même plutôt enthousiaste », note Déborah Poiteau, chargée des dossiers parcs privés au service habitat de la Communauté urbaine. Quatre longues années ont été nécessaires pour que la CUS détermine les copropriétés éligibles à ce programme. Depuis Daniel Tomasi est beaucoup moins convaincu. Dans le même temps, la rénovation urbaine du quartier de Hautepierre a été lancée.

 

Ne pas délaisser l'habitat privé

 

Le PRU ne concerne pas l'habitat privé. Par peur de voir apparaître un sentiment de délaissement chez les résidents du parc privé, la CUS a décidé d'accompagner certaines copropriétés. Et parmi les copropriétés hautpierroises, ce sont Eléonore 1 et surtout Eléonore 2 qui cumulaient le plus de difficultés. Le constat se base sur un rapport, commandé par la CUS, de l'Association pour la rénovation immobilière (Arim) d'Alsace, datant de 2009.

 

Selon ce rapport, Eléonore 2 connaissait des problèmes structurels aboutissant à des dépenses de chauffages élevées, et surtout des impayés de charges qui ont doublé entre 2008 et 2009, pour atteindre plus de 80 000 euros (la situation s'est depuis un peu stabilisée et les impayés de charges ne s'élèvent plus qu'à 65 000 euros au troisième trimestre 2012).  delib OPAH CC 27 01 2012(3)

 

La peur du déclassement

 

Ce que craint la CUS, c'est qu'Eléonore 1 et 2 ne finissent par rentrer dans un schéma bien connu : déqualification des immeubles, fuite des ménages de classe moyenne, chute de la valeur patrimoniale des logements, arrivée de ménages défavorisés, taux de rotation important, explosion des impayés de charges... D'autant que l' environnement est défavorable. Hautepierre traine sa mauvaise réputation et n'aide pas beaucoup à l'attractivité des deux copropriétés.

« Avant, parmi les habitants, on avait des profs, des petits cadres ou patrons, explique une habitante. Aujourd'hui, il y a plus d'ouvriers, d'étrangers, des personnes qui n'ont pas forcément les moyens de vivre ici. La copropriété s'est appauvrie, c'est vrai. Mais la situation n'est pas dramatique, loin de là, c'est juste devenu un peu plus difficile. Il n'est pas question de pointer du doigt qui que ce soit. Certains ont été mal orientés ou n'ont pas trouvé de place en HLM. Il y en a aussi qui n'ont pas fait leur travail, n'ont pas expliqué ce que cela impliquait d'être propriétaire. »

Gérard Berna, retraité et résident propriétaire à Eléonore 1.

« Il y a encore de la mixité sociale »

 

Des problèmes bien réels, mais que tempère Benjamin Buchet, de l'Arim Alsace : « Des six copropriétés sélectionnées pour l'OPAH copropriétés dégradés, Eléonore 1 et 2 ne sont clairement pas les plus en difficulté. Il y a encore de la mixité sociale, le conseil syndical est dynamique et impliqué. Mais quelques éléments suscitaient des craintes. Le lancement du PRU de Hautepierre a précipité les choses. »

 

Déborah Pointeau, du service habitat de la CUS, est un peu plus alarmiste: « Nous avons détecté un certain nombre de problèmes sociaux dans ces logements, des taux d'impayés assez élevés, un entretien courant insuffisant. Si M. Tomasi freine un peu aujourd'hui, c'est peut être parce qu'il n'aime pas que l'on s'insère dans sa gestion ». La CUS vient en effet de commander un audit de la situation financière des copropriétés auprès d'une société lyonnaise, Coproplus.

 

Pour Pierre Olivier, directeur général de Coproplus, il ne s'agit pas là d'une sanction vis-à-vis du syndic. « C'est assez inhabituel qu'une mairie, surtout de province, fasse une telle demande. Mais l'Etat et les collectivités vont verser beaucoup d'argent. La CUS veut savoir si ce n'est pas à fonds perdus. Il faut donc qu'elle s'assure que la copropriété est capable d'assumer ces aides, et qu'après les travaux, elle sera autonome financièrement. On travaille en pleine collaboration avec M. Tomasi ».

 

 L'OPAH qui vient d'être lancée couvrira une période de cinq ans, jusqu'en 2017. En attendant l'éventuel début des travaux, l'Arim joue les médiatrices et organise des permanences, sur place, pour répondre aux interrogations et aider le conseil syndical dans ses démarches, devis, constitutions des dossiers de demandes de subventions.

 

 

Entre doutes, réticences, malentendus et comptes des millièmes et tantièmes comme en connaissent toutes les copropriétés, le chemin de la rénovation sera long pour Eléonore 1 et 2.

 

Texte et videos : Vincent Di Grande

 

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