Après les attentats de Copenhague, le Premier ministre israélien a invité les juifs français à migrer vers Israël. Mais à Strasbourg, les fidèles ne croient pas à l'utopie de la terre promise.
Les gens ne s'attardent plus. Il est d'ailleurs difficile de stationner sur place, sur le petit parvis qui succède aux marches de la petite entrée, rue René Hirschler. Trop s'attarder devant la synagogue de Strasbourg, c'est attirer l'attention de la police, qui patrouille l'arme en bandoulière, le regard droit. Même vers 14 heures en ce lundi 16 février, à l'heure où l'office de 13h30 vient de s'achever et que les parents emmènent leurs enfants à l'école, peu de gens traînent. Difficile de trouver des groupes qui discutent ou qui réagissent au nouvel appel du pied de Benyamin Netanyahu, le premier ministre israélien, qui a invité les juifs d'Europe à migrer vers Israël, leur "foyer", après les attentats de Copenhague.
"Vous n'avez que ça à faire de vous préoccuper de quelqu'un qui a pété à l'autre bout de la planète?", lance un fidèle visiblement agacé, balayant la question en levant énergiquement les bras au ciel avant de disparaître d'un pas pressé. Juste derrière, David Halphen a vu la scène, il sourit. "Bah voilà, vous l'avez votre réponse", glisse-t-il, le sourire tout en retenue, mais le timbre ironique. Ses yeux guettent l'horizon, son ton devient grave. "On se sent pas franchement en danger en France. Si j'avais à migrer en Israël, ce ne serait pas pour les raisons de sécurité invoquées par M. Netanyahu, car c'est un pays en guerre, mais simplement pour une question de religion", explique-t-il avant de s'engouffrer dans la synagogue.
La Synagogue de la Paix à Strasbourg, inaugurée en 1958. (Crédit Photo: Thibault Petit)
Pas plus en sécurité là-bas
A la sortie de l'office, André Elbaz, un autre pratiquant, est l'un des rares à prendre le temps de griller une cigarette. Ses yeux verts fixent le blanc de la fumée qui atteint les vitres teintées des portes du centre communautaire. Il a la blague facile et le rire sincère, mais le sourire jaune lorsqu'on aborde la petite polémique qui enfle après que Manuel Valls a répondu fermement aux propos de M. Netanyahu, estimant que "la place des français juifs, c'est la France". "Au vu des événements, c'est normal que Netanyahu nous appelle à venir en Israël", glisse-t-il. Il marque une pause. "Mais Valls a raison : on est chez nous ici".
C'est un peu le sentiment général sur les marches de la synagogue. Les fidèles rappellent avant tout leur "culture française" et leur "citoyenneté", et évoquent "leur reconnaissance à l'égard de la France". Ils ne croient en tout cas pas à l'utopie israëlienne. "Même là-bas, il y a de grosses difficultés à s'intégrer. Si je devais partir, c'est une démarche idéologique qui n'a rien à voir avec la politique", tempère un ancien. "Je suis choqué de ce qu'a dit Netanyahu, confie José Klein, un artisan commerçant de 48 ans, kipa vissée sur la tête, la bouche pleine de sourires. Chacun vit où il veut. Et puis on est français avant tout. On ne sera pas plus en sécurité là-bas".
Israël plus solidaire que la France
La sécurité, ce n'est pas du tout ce qui préoccupe ce groupe de jeunes filles, beaucoup plus pragmatique. "Vous nous voyez vraiment vouloir partir?", lâchent-elles en haussant les épaules. Une jeune maman les rejoint, une poussette au bout des bras. Elle dit seulement quelques mots, mais lève surtout les yeux au ciel comme pour mieux signifier la légèreté du débat. "Ce qui s'est passé à Copenhague, les tombes profanées, ça arrive partout. Je ne crois pas qu'Israël puisse mieux nous recevoir. Il faut surtout que les pouvoirs publics français réagissent", souffle t-elle.
"Israël veut surtout que tous les juifs du monde vivent en sécurité", alimente de son côté Réné Gutman, le grand rabbin de Strasbourg, que l'on sent plus sensible au discours de M. Netanyahu. "Israël est sûrement plus solidaire (des juifs, ndlr) que la France car c'est un pays en guerre qui comprend mieux les communautés attaquées". Mais il l'assure, il n'y a aucun phénomène de départs. Et le fait d'émigrer reste un choix individuel qui ne concerne de toute façon pas toute la communauté. "La question n'est pas de savoir s'il faut partir ou non, c'est de s'occuper de ceux qui crèvent, et de protéger ceux qui sont là!", avait lancé le fidèle énervé, avant de s'engouffrer dans la brume hivernale.
Thibault Petit