Un Nigérian de 42 ans a comparu ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour non-respect de son assignation à résidence à Épinal. Mais incompris par son avocat, son interprète, et les juges, son parcours reste mystérieux.
L'audience a été renvoyée au 23 mars prochain, faute d'avoir pu communiquer avec le prévenu. © Luc Herincx/cuej.info
Ses deux passages éclair auront plongé la salle 101 du tribunal de Strasbourg dans une atmosphère de flottement et de confusion générale, le mercredi 15 février après-midi. Renvoyé de France et accusé de ne pas avoir respecté son assignation à résidence à Épinal – à plus de 120 km de Strasbourg –, cet homme de nationalité nigériane débarque d’abord dans la pièce en silence, tremblant, escorté par deux policiers.
Alors que son interprète lui tend un écouteur dont il se saisit avec difficulté, le quadragénaire a seulement le temps de balayer du regard chacune des personnes présentes, que le président prend déjà sa place pour débuter un dialogue de sourds : « Vous êtes sans domicile fixe, célibataire, sans ressources… Acceptez-vous d’être jugé immédiatement ? » Pour seule réponse, l’homme à l’allure élancée vers qui tous les regards sont dirigés balbutie quelques mots incompréhensibles.
L’avocat n’a pas pu préparer la défense de son client
« Désolé, je ne comprends pas ce que dit ce monsieur. Ce n’est pas de l’anglais, ou en tout cas pas un anglais que je comprends », s’excuse la traductrice. Puis subitement, le quadragénaire parvient à sortir, dans un anglais parfait : « Si je dois être jugé, il me faut savoir pourquoi. » Il s’agit là d’une des seules interactions fluides. Mais ne souhaitant pas rappeler les faits déjà exposés, le président conclut avec impatience : « Qui ne dit mot ne consent pas, nous ne pouvons pas juger cette affaire immédiatement. »
Dans la foulée, l’avocat du Nigérian baisse les bras, expliquant aux juges ne pas avoir réussi à communiquer avec son client la veille de sa comparution : « J’ai eu un entretien assez lunaire. Ça ressemblait à une partie de kamouloux à chaque fois que je m’adressais à lui. Je ne peux que recommander une expertise psychiatrique. »
Durant ces brefs échanges, l’homme en question fixe les membres du public, les sourcils haussés, comme cherchant le motif de sa présence au tribunal. Le président tente une ultime communication : « L’anglais est-il votre langue maternelle ? On parle anglais avec maman ? » Le prévenu répond par l’affirmative, sans développer, sous le ricanement des policiers derrière lui qui le raccompagnent ensuite vers la sortie, menotté.
L’affaire sera jugée le 23 mars
Une demi-heure plus tard, après concertation des juges, le Nigérian revient dans la salle d’audience, toujours couvert d’une épaisse doudoune noire malgré la chaleur de la pièce. On lui explique la décision du tribunal : son cas sera jugé le 23 mars, il sera maintenu en détention et examiné par un psychiatre d’ici là. « J’ai une question », lance-t-il alors en anglais. « Ce n’est plus le moment », lui répond sèchement le juge.
Parmi les membres du public, une jeune femme chuchote : « Il a l’air perdu. » C’est le mot, et il s’applique à la vingtaine de personnes présentes : nous sommes perdus. Son arrivée en France, son voyage interdit d’Épinal vers l’Alsace, sa santé mentale… Autant de questions à propos de cet homme qui, le temps d’une audience de quelques minutes, restent en suspens.
Luc Herincx
Édité par Nils Hollenstein